Fake Names « Fake Names »

En général, un sentiment partagé anime le critique musical face à un énième super groupe de rock. D’une part, il peut s’attendre à travers la rencontre de talents reconnus et admirés, une osmose créative décuplée, mais d’autre part, à l’inverse, le côté argumentaire uniquement basé sur le « name dropping » peut laisser penser, au pire, à une simple opération de communication, au mieux, à une envie récréative sans véritable ambition musicale. Qui plus est, quand le frontman de la formation est une personnalité aussi clivante que Dennis Lyxzén, le chanteur et leader des cultissimes Refused, il y a évidemment de quoi être prudent. Comme quoi, il faut toujours laisser la musique parler et se méfier des influences médiatiques, car ce disque est tout simplement l’un des meilleurs disques de rock entendus cette année, dans une veine pourtant relativement classique, entre punk rock mélodique et power pop à l’américaine.

Déjà le niveau de composition est très élevé, mais plutôt version machine à tubes, qui pourrait aller jusqu’à évoquer par moments le feeling d’un Billy Idol ou l’osmose texte/musique/chant d’un Joe Strummer. Qui plus est avec une telle équipe de légendes du rock alternatif américain, à la manette soient Brian Baker (Bad Religion, Dag Nasty, Minor Threat), Michael Hampton (SOA, Embrace, One Last Wish), Johnny Temple (Girls Against Boys, Soulside), l’assise rythmique est au millimètre, le rendu mélodique est immédiat, l’ensemble est à la fois brillamment dynamique et d’une sobriété décisive. Les solos et les riffs de guitares de Baker et de Hampton sont particulièrement équilibrés et complémentaires, toujours au service de l’expressivité mais jamais d’une démonstration, si souvent contre-nature mais pourtant tentante pour certains dans l’univers du punk. A noter que le quatuor s’est attaché les services d’un sérieux client à la batterie, Matt Schulz, à la notoriété moindre mais évoluant ou ayant évolué tout de même au sein de formations aussi remarquables qu’Enon, Holy Fuck ou Savak !
J’entends déjà les esprits taquins s’élever autour d’une production évidente et accessible me rappelant personnellement certains albums de XTC, impression renforcée par la présence massive de chœurs de Baker et Hampton, tout au long du disque. De là à pouvoir nuancer le chemin punk emprunté par une couleur pop, il n’y aurait d’ailleurs qu’un pas que je franchirais sans faiblir ! Evidemment ce premier album éponyme, est bien plus proche du Black & White Album des Hives (2007, A&M/Octone Records) que du In Mass Mind de The Make-Up (1998, Dischord Records) pour ne citer que deux exemples. Vous l’aurez compris, je suis aujourd’hui plutôt d’humeur badine, un brin provocateur, m’attendant à lire avec délectation les commentaires les plus réactifs et exacerbés des exigeants lecteurs de Slow Show. Je pourrais alors leur opposer que ce disque sort sur Epitaph, l’un des plus imposants et importants labels indé’ américains au même titre que Relapse ou Matador, que l’ambition affiché et assumée par ce disque n’a ainsi certainement pas une visée confidentielle, en tout cas surtout pas dans la tête du boss du label, Brett Gurewitz (aussi connu comme le guitariste de Bad Religion), qui a tout de suite entendu le potentiel de ce qui ne devait alors rester qu’une démo, présenté par ses amis de longues dates.
Après toutes ces considérations, reste une collection de titres immédiats, haletants, dépassant rarement les 3 minutes pour une efficacité maximale : du pur punk’n’roll à la sauce Epitaph sur « Brick » et « Lost Cause », du punk plus posé et plus nuancé, façon Samiam sur « Darkest Days », « This is Nothing », des tubes immédiats en forme d’hymnes « All for Sale » et « First Everlasting »… Par contre, Fake Names n’invoque que de manière sous-jacente ses racines purement hardcore, même si par moment, la puissance dégagée pourraient rapprocher le quatuor des Bronx et d’Hot Snakes, voire même des derniers disques de Bob Mould. A l’inverse, Fake Names ne privilégie absolument pas ces racines rhythm’n‘blues, pourtant si présentes dans la musique de The (International) Noise Conspiracy, l’un des groupes phares de Dennis Lyxsén, malgré une activité et une énergie dignes de la furie lumineuse de Rocket From The Crypt. Mais, bien évidemment, vu le niveau d’expérience, de maturité, le pedigree de ces quatre (et presque cinq) figures de la musique indépendante, la personnalité du groupe tient évidemment aux parcours musicaux riches et très divers de ses membres, à défaut d’être, comme pour un jeune groupe, une somme d’influences à peine digérée. Qui plus est, ce disque permet une nouvelle fois, de mesurer la flamboyance des intentions vocales détonantes de Dennis Lyxzén. Comme dans Refused, et pour utiliser la métaphore cycliste, lorsque ses « coéquipiers » se mettent à son service, il s’impose une nouvelle fois comme l’un des frontmen les plus marquants de notre époque, à placer aux côtés de références -tous styles confondus- aussi différentes et symboliques que Dave Gahan (Depeche Mode) ou encore Cedric Bixler-Zavala (At The Drive-In, Antemasque, The Mars Volta…). C’est d’ailleurs étonnant de découvrir que Fake Names est avant tout le fruit des envies communes des vétérans Brian Baker et Michael Hampton, alors que le chanteur incarne tellement, par sa présence et son magnétisme, cet album évident et jouissif voué à un succès populaire largement mérité. Mais force est de constater que les deux ‘tontons’ ont réussi à canaliser les penchants excessifs et égocentriques du suédois, et à conduire de main de maître le camion dans la direction souhaitée, appuyée par la science du groove, intrinsèque du génial Johnny Temple, sans oublier, la frappe impeccable et précise de Matt Schulz.

Fake Names Fake Names Epitaph

TRACKLIST :

Face A

All For Sale
Driver
Being Them
Brick
Darkest Days

Face B

Heavy Feather
First Everlasting
This Is Nothing
Weight
Lost Cause



Album également disponible sur Apple Music, Qobuz, Spotify, Tidal,
mais aussi et surtout, chez tous les bons disquaires indé’ !


Laurent Thore

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