Johnny Thunders & The Heartbreakers « L.A.M.F. »

lamf
Quand les New York Dolls ont cessé toute activité en 75, Johnny Thunders (guitariste) et Jerry Nolan (batteur) ont aussitôt rebondi en montant les Heartbreakers avec Richard Hell (bassiste) en provenance de Television avant que le groupe n’enregistre son premier album, le chef-d’œuvre Marquee Moon (Elektra, 1977), et Walter Lure (guitariste) qui lui, sans antécédent notable jusque-là, créera, bien plus tard, les trop souvent oubliés Waldos.

Thunders, Nolan et Hell ainsi que Dee Dee Ramone étaient toujours fourrés ensemble pour se défoncer copieusement. La dope, ça crée des liens. Ou pas.

On avait là, le noyau dur de ce qu’on qualifiera par défaut le “punk new-yorkais”. Hell ne fera, comme chez Television, qu’un passage furtif au sein des ‘Breakers avant de monter les Voidoids et signer dans la foulée un autre album tout aussi primordial que L.A.M.F. et Marquee Moon, Blank Generation (Sire Records, 1977). Il sera remplacé à la basse par Billy Rath, sans antécédent notable non plus, au sein des Heartbreakers. Aujourd’hui, Richard Hell se consacre à l’écriture. Un seul roman a été édité en France à ce jour, le très recommandable L’œil du lézard (Éditions de l’Olivier, en 1999).
Londres captait l’attention en 1976 et 77, mais New-York et Los Angeles étaient tout aussi bouillonnantes. Si ce n’est plus. La différence entre les deux côtés de la flaque, c’est que les Américains étaient en général de bien meilleurs musiciens que les Anglais. Les liens incestueux entretenus par la scène rock new-yorkaise a, sur ce disque, une corollaire remarquable avec la chanson “Chinese Rocks”. Le “caillou chinois” était l’appellation donnée à la dope à New-York à cette époque. Selon Dee Dee Ramone, il a écrit cette chanson avec la ferme intention de prendre de court Richard Hell qui venait de lui souffler qu’il envisageait d’en écrire une qui surpasserait “Heroin” de Lou Reed.

Dee Dee Ramone l’a composée en une nuit dans la piaule de Deborah Harry, la chanteuse de Blondie, après que Jerry Nolan l’ait appelé pour aller pécho du “caillou chinois” en ville. Jerry et Dee Dee trainaient tout le temps ensemble pour s’en foutre plein la gueule. Un jour, chez lui, Dee Dee joue “Chinese Rocks” à Jerry qui l’a aussitôt soumise aux Heartbreakers. Voilà comment les Heartbreakers ont grillé la priorité aux Ramones. Selon une autre version donnée par Dee Dee dans Please Kill Me de Legs McNeil et Gillian McCain (Allia, 625 p., 25 €, 2006), Tommy Ramone ne voulant pas qu’on parle de dope dans les Ramones, Dee Dee a refilé la chanson à Richard Hell puisqu’il lui avait demandé d’en écrire quelques vers. Sur L.A.M.F., puisque Richard Hell n’est déjà plus dans les Heartbreakers, la chanson est co-signée par Thunders et Dee Dee Ramone alors que manifestement, c’est une arnaque. Les Ramones ont fini par l’enregistrer pour End Of The Century (1980) où là, la chanson est créditée à Richard Hell et Dee Dee Ramone. Dee Dee Ramone raconte tout ça dans l’excellent Mort aux Ramones (Au Diable Vauvert, 271 p., 17 €, 2002), traduit par Virginie Despentes et préfacé par Philippe Manœuvre. Mort aux Ramones est l’histoire des faux-frères racontée par Dee Dee. C’est à mourir de rire. Mais, ce n’est pas le menu du jour. Là, je te rappelle qu’on en est aux Heartbreakers avec un L.A.M.F. qui regorge de quelques monuments du rock new-yorkais qui serviront de matériau de base au punk naissant. D’autant que Thunders & les Heartbreakers vont avoir une influence capitale sur le punk anglais avec d’autres New-Yorkais, les Electric Chairs du transsexuel Wayne County. Les deux sont restés longtemps à Londres où ils ont éduqué ces petits cons de punks anglais à l’héro, eux qui ne fumaient que de l’herbe qui rend nigaud. D’où l’hécatombe dans les rangs britanniques. C’est une autre histoire…
Le titre le plus remarquable de L.A.M.F. reste “Born To Lose”, au nihilisme reflétant l’état d’esprit d’une nouvelle génération au sang bouillonnant.
Le héros de Johnny Thunders était Keith Richards, et pas que pour la guitare donc. Ça s’est toujours ressenti dans son jeu. Déjà, les New York Dolls avaient de flagrantes velléités stoniennes jusqu’au chanteur David Johansen qui poussait le mimétisme à avoir un physique et une gueule à la Mick Jagger. On pourrait dire de même d’Aerosmith et de son chanteur Steven Tyler. Les New York Dolls étaient d’obédience Stones / Jagger et les Heartbreakers, plus Stones / Richards. Les Stones d’avant 1973 s’entend.
Il existe trois versions de L.A.M.F. avec trois mixes différents. Johnny Thunders ayant retravaillé le son trop “new-yorkais”, trop rude de l’original pour miser un peu plus sur les mélodies. Là, c’est la dernière version sous-titrée The Lost ’77 Mixes qui propose les quatorze morceaux qui composent l’intégral des chansons enregistrées à l’origine. Cette version est sortie en 1994 en Angleterre, chez Jungle Records.

Juste après, Thunders continuera sous son propre nom pour un remarquable So Alone (1978), en compagnie de deux Sex Pistols, Steve Jones et Paul Cook, Steve Marriott des Small Faces et Humble Pie, Peter Perrett des Only Ones, Paul Gray des Damned et des Eddie & The Hot Rods ainsi que Phil Lynott de Thin Lizzy. Il fera ensuite une petite tentative avec Sid Vicious qui n’a pas été concluante. Puis, plus tard, Gang War avec Wayne Kramer (MC5). Sans parler de sa période parisienne… Il va jouer son propre rôle dans le film Mona et moi (1989) de Patrick Grandperret. De son vrai nom John Anthony Genzale Jr, Johnny Thunders meurt dans un hôtel de la Nouvelle-Orléans le 23 avril 1991, il aurait eu 39 ans le 15 juillet.

L.A.M.F. reste un incontournable. Un album qui a révélé de nombreuses vocations et qui a largement nourri le punk anglais qui devait déjà une fière chandelle aux New York Dolls rapport à Malcolm McLaren… Mais pour en savoir plus, chérie, si tu veux que je crache le morcif, va falloir allonger les talbins.

Johnny Thunders & The Heartbreakers L.A.M.F. Track/Jungle

TRACKLIST:
(version originale de 1977)

Side A

Born To Lose
Baby Talk
All By Myself
I Wanna Be Loved
It’s Not Enough
Chinese Rocks

Side B

Get Off The Phone
Pirate Love
One Track Mind
I Love You
Goin’ Steady
Let Go



Album également dispo’ sur Spotify par ici.



Patrick Foulhoux

Ancien directeur artistique de Spliff Records, Pyromane Records, activiste notoire, fauteur de troubles patenté, journaliste rock au sang chaud, spécialisé dans les styles réputés “hors normes” pour de nombreux magazines (Rolling Stone, Punk Rawk, Violence, Dig It, Kérosène, Abus Dangereux, Rock Sound…), Patrick Foulhoux est un drôle de zèbre.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.