Mogwai « As The Love Continues »

« Tu vois, le monde des groupes de musique qui ont plus de 20 ans se divise en deux catégories : ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent ». Quoi de mieux qu’une bonne citation pour introduire une des plus grandes problématiques qu’il est donné de voir dans le monde des groupes de musique qui perdurent ? Dans quelle catégorie peut-on ranger Mogwai au moment où, curieusement, ils se mettent à nous parler d’amour qui dure ? Et l’amour de quoi au juste ? De jouer ensemble de la musique, de l’Ecosse, de la rebellion, de l’humour, d’une adolescence que l’on voudrait aujourd’hui quasi-éternelle ? Probablement un peu de tout ça et certainement d’autres choses encore…

Alors prenons cet album dans son ordre chronologique, façon « unboxing », et voyons d’un trait si ça creuse ou si ça charge encore !
« To The Bin My Friend, Tonight We Vacate Earth », pour commencer, aurait très bien pu sortir 10 ans plus tôt et figurer sur l’album Hardcore Will Never Die, But You Will (2010, Rock Action) que personne n’aurait vraiment été surpris ou aurait trouver à y redire. Creuser, ok, mais on peut aussi labourer un sillon… Nuance. « Here We, Here We, Here We Go Forever » louche ensuite d’un oeil sur l’électro et d’un oeil sur une sorte de post-new wave, entre flux et reflux, et l’on sort un peu de la zone du « son de confort » de nos joviaux écossais et laisse songeur sur la suite. Quelle direction tout cela va-t-il prendre ? « Dry Fantasy », extrait qui avait annoncé et teasé la sortie de l’album, faisait pour ainsi dire déjà parti du paysage, intemporel (ou transtemporel ?) donc le suspense continue. La simplicité désarmante de « Ritchie Sacramento » et son format de single, bien loin de l’étiquette post-rock que l’on prête de manière discutable à Mogwai, nous renvoie d’une certaine manière à l’étonnant « Party In The Dark » de Every Country’s Sun, leur précédent album. Un vrai single, tout simplement.
Et alors que le doute commence à poindre le bout de son nez, il se passe néanmoins quelque chose. Avec « Drive the Nail » le groupe, comme un seul homme, ne tourne plus autour du pot et enfonce le clou bien profondément. Ce retour à une sorte de quintessence, plutôt d’une redite, rallume le feu qui couvait et on ne peut qu’apprécier cette batterie implacable, cette basse dorsale, les guitares saturées, incendiaires et entremêlées faire leur job. Ca monte, ça descend, pendant 7 bonnes minutes de douche écossaise (bien sûr). « Fuck Off Money » remet le couvert de la surprise. Alors que l’on pense se promener dans une balade vocodée sans réelle destination, on se fait finalement prendre dans une bien belle explosion sonique. Dieu sait, pourtant, qu’on pourrait s’y attendre puisque c’est Mogwai quoi ! Mais c’est subtilement amené et c’est un petit bonheur d’arriver à se faire cueillir, encore, après 20 ans de bonnes et loyales écoutes. « Ceiling Granny » oblitère, quant à lui, le clou enfoncé plus tôt. Et on a envie de dire « Smashing Pumpkins, sortez de cette chanson ! ». A ce niveau là ce n’est plus du clin d’oeil (bonjour la flanger !), c’est une… déclaration d’amour, légèrement teintée d’ironie évidemment. Mi-grunge, mi-haggis, quelque part entre Chicago et Glasgow, on revit un temps et une scène passés mais c’est bien pourtant ici et maintenant. C’est assez coquin, limite cabotin. « Midnight Flit » enchaîne sur du symphonique, du cinématographique, toujours en crescendo et la course en avant de cet album continue… Avec maintenant plusieurs b.o. au compteur, c’est bien la moindre des choses. « Pat Stains » nous ramène en terres plus classiques, où l’on est guidé par un arpège qui ne cesse de rebondir jusqu’à la déflagration et le retour au calme. Quintessence, toujours… « Supposedly, We Were Nightmares » nous accroche de son petit riff et de sa relative simplicité. Définitivement « Uplifting », c’est comme si Mogwai nous invitait à garder la pêche, voire l’innocence, hors de tout et surtout de tout contexte… Pour le meilleur et pour le pire. « It’s What I Want To Do, Mum », au-delà d’un titre qui ouvre grandes les portes de l’imagination, conclut cet album sous forme de synthèse programmatique.
Nous voilà donc face à un album au final suffisamment versatile pour se rendre probablement plus accessible que les précédents, qui permettrait presque d’enterrer ce vilain statut de groupe post-rock et les cantonner à une ligue de poseurs. En vrai ils ont dépassé ce post- depuis longtemps, en bons « calvinistes mutiques » comme ils aiment se décrire, non sans amusement, lorsqu’ils jouent ensemble. Car dans ce groupe en éternelle répétition, c’est bien la musique qui fait le job, qui déclare et exprime tout à leur place et à elle seule, même le plus plus profond et galvaudé des sentiments (oui, l’amour, qui continue bien au-delà de plus de 20 ans donc). Ni plus ni moins, foi de Calvin.

Mogwai As The Love Continues Rock Action/Pias

TRACKLIST :

Face A

To The Bin My Friend, Tonight We Vacate Earth
Here We, Here We, Here We Go Forever
Dry Fantasy

Face B

Ritchie Sacramento
Drive The Nail
Fuck Off Money

Face C

Ceiling Granny
Midnight Flit
Pat Stains

Face D

Supposedly, We Were Nightmares
It’s What I Want To Do Mum



Album également disponible sur Apple Music, Bandcamp, Deezer,
Qobuz & Tidal, mais aussi et surtout, chez tous les bons disquaires indépendants !




Critique et écoute intégrale de
Every Country’s Sun (2017, Rock Action)

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Rodolphe Canale

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