Patrick Scarzello « Camera Silens par Camera Silens »

On a beaucoup pavoisé sur le “punk” à Paris en pleine fleur de l’âge, mais les vétérans se souviennent qu’au même moment se passaient des choses largement aussi excitantes voire plus à Rouen, au Havre, à Lyon, à Toulouse ou à Bordeaux pour ne citer que les foyers de contamination les plus virulents. Bordeaux, après la vague des groupes en “St” (Strychnine et Stalag avant Stagiaires et Stilettos), Camera Silens débarque avec la ferme intention de couper les ponts avec la première génération punk, en s’inspirant de la seconde vague britannique habilement surnommée “Punk’s Not Dead”. Patrick Scarzello donne la parole aux protagonistes dans cette biographie à la conception originale.

L’auteur bordelais possède plusieurs casquettes à son arc ou plusieurs cordes à sa guitare, comme il te plaira. Il était légitime pour raconter l’histoire de Camera Silens, groupe street punk drainant derrière lui un public punk au sens large. Les Camera Silens étaient « les verrues du rock » selon Benoît Destriau, un des deux chanteurs et guitariste. Patrick Scarzello a tendu son micro à tous les membres du groupe et même à Gilles Bertin, le second chanteur et bassiste, devenu célèbre par ailleurs pour des faits n’ayant aucun rapport avec le groupe ou la musique. Les Camera Silens étaient remontés comme des coucous, mais au début des années 80, il leur était difficile d’aller prêcher la bonne parole. Les compilations Chaos en France puis Les héros du peuple sont immortels ont mis un coup de projecteur sur un groupe possédant une grosse fan base à Bordeaux et dans le milieu punk. L’acmé du groupe se situe peut-être bien durant le festival Chaos en France à Orléans. Le service d’ordre est assuré par des bikers qui cognent sur tout ce qui bouge à l’entrée, trop contents de pouvoir casser du jeune punk. Comme tétanisé par ce qui se passe, Camera Silens joue quand même. On sent qu’à partir de ce moment-là, il n’envisage plus le groupe tout à fait de la même façon.
Patrick Scarzello a la pudeur de ne pas trop intervenir et de laisser les protagonistes se raconter. Toute la première partie du livre est spécifiquement consacrée à Camera Silens sur la période 1981 – 1986. La seconde partie intitulée “Sans Gilles… cause perdue” couvre de 1986 à 1988 pour revenir plus particulièrement sur les “aventures” de Gilles Bertin disparu des radars après quelques braquages et surtout, le casse du siècle à Toulouse le 26 avril 1988 qu’il a perpétré en compagnie d’un gang de « punks, anarchistes et toxicomanes ». 11,7 millions de francs. Après s’être tenu à carreau pendant trente piges, bien planqué et recherché sans jamais se faire serrer, Gilles Bertin s’est livré à la police et a raconté tout ça dans l’excellent Trente ans de cavale (Robert Laffont Éditions, 2019). Il est décédé en novembre 2019 à l’âge de 58 ans.

Camera Silens est un document essentiel pour comprendre la scène punk, rock, alternative, appelez-la comme vous voulez, des années 80 à travers l’histoire “drogues et rock’n’roll” mouvementée d’un groupe revendiqué apolitique.

Patrick Scarzello Camera Silens par Camera Silens Castor Astral
300 pages, 14 €

Patrick Foulhoux

Ancien directeur artistique de Spliff Records, Pyromane Records, activiste notoire, fauteur de troubles patenté, journaliste rock au sang chaud, spécialisé dans les styles réputés “hors normes” pour de nombreux magazines (Rolling Stone, Punk Rawk, Violence, Dig It, Kérosène, Abus Dangereux, Rock Sound…), Patrick Foulhoux est un drôle de zèbre.

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