La figure du héros est en pleine révolution à Hollywood. Après avoir passé le superhéros à la moulinette dans Birdman et réimplanté dans le présent le génie de l’ombre qui a changé le monde dans Imitation Game, elle s’attaque aujourd’hui dans Citizenfour à la figure mythique du lanceur d’alerte qui, de Les Hommes du Président (Alan J. Pakula, 1976) à Erin Brokovitch (Steven Soderbergh, 2000), a dévoilé à l’opinion publique les plus gros scandales politiques, sanitaire et financiers du pays, tout en représentant l’idéal de réussite self-made qui a fait l’Amérique.
Si le public US est friand de ce genre de cinéma engagé et, avouons-le, bienpensant, la particularité de Citizenfour est que ce n’en est pas, justement, du cinéma. Auréolée de l’Oscar du Meilleur Documentaire en 2015, Laura Poitras rapporte ici l’histoire incroyable mais vraie d’Edward Snowden, un jeune analyste de la NSA de 29 ans, qui décida en 2013 de contacter la réalisatrice et le journaliste du Guardian Glenn Greenwald, afin de révéler au monde la surveillance généralisée exercée par les services de renseignements américains sur les populations du monde entier. Restés enfermés pendant huit jours dans une chambre d’hôtel à Hong-Kong, on assiste alors médusés à l’orchestration en direct et parfaitement réfléchie d’un scoop journalistique doublé d’un scandale mondial aux conséquences dramatiques pour leurs dénonciateurs. Le premier sentiment qui nous étreint à la vue de ce film est l’admiration. Admiration devant des héros du réel qui, de Snowden à Greenwald, sont prêts à sacrifier leur vie professionnelle et privée au nom de leur idéal de justice et de liberté. Jack Bauer n’a décidément rien inventé.
Ils sont tous impressionnants de calme, de courage, d’intelligence, d’éloquence (mise en avant par la règle de cinéma vérité de Poitras, qui filme ce qui se passe sur l’instant, sans répétition ni mise en scène) et surtout de sang-froid. Parfaitement conscient de ce qu’il fait et des conséquences de ses actes, Edward Snowden ne sourcille pas, ne tremble pas, ne regrette rien. Sûr de ses choix, il est convaincu et heureux de faire ce qui doit être fait pour le bien de tous. Comme le dit justement Axel Sénéquier dans son dernier recueil de nouvelles, « Les vrais héros ne portent pas de slip rouge » (2014, Éditions Quadrature).
Au-delà de sa capacité à éveiller en chacun de nous une conscience citoyenne parfois insoupçonnée (en tout cas pour ma part), et à relever encore d’un cran notre degré de paranoïa vis à vis du Big Brother étatique, le film impressionne aussi par sa puissance cinématographique. Filmé comme un véritable thriller, la tension qui en ressort est d’autant plus palpable qu’on sait qu’elle est réelle. Entre deux scènes d’espionnage qui ringardisent tout ce qui a été fait auparavant (et probablement tout ce qui sera fait par la suite), Snowden nous explique bien que « ce n’est pas de la science-fiction, c’est ce qui se passe maintenant ».
Un réalisme aussi surréaliste remet forcément en question la pertinence du projet d’adaptation d’Oliver Stone avec Joseph Gordon-Levitt dans le rôle titre. Même si l’on ne doute pas de la noblesse de leurs intentions et de leurs compétences artistiques, on sait bien que la copie n’est jamais aussi bonne que l’originale, surtout avec des personnages réels aussi charismatiques à l’image. Le réalité a rattrapé la fiction et Hollywood est (enfin) prise à son propre piège. Elle a fait du lanceur d’alerte un héros de cinéma, et ce héros est enfin sorti de l’écran.
Citizenfour de Laura Poitras
Avec Glenn Greenwald, Edward Snowden, Kevin Bankston et Julian Assange
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