Pumpkin & Vin’s Da Cuero « Abysses Repetita »

D’une certaine manière, je suis en retard, très en retard pour vous présenter le dernier album du duo Pumpkin & Vin’s Da Cuero, l’un des disques les plus passionnés et passionnants de l’année passée 2020. Une œuvre qui mérite justement de ne pas passer inaperçue, en dépit d’une période quasi-surréaliste dans laquelle l’espace temps semble s’être brisé en même temps que beaucoup de rêves, d’illusions et de motivations. Cette œuvre n’avait pas prévu ce qui allait lui arriver, et pourtant elle résonne avec force et poésie avec les réflexions et les doutes du moment, et plus largement avec la cruelle réalité de la modernité qui nous est tombée dessus il y a un peu plus d’un an.

Autant éluder les considérations stériles : est ce qu’Abysses Repetita est assez rap ? trop hip-hop ? trop gentil ? pas assez hardcore ? trop militant ? Pas assez club ? trop cool ? Pas assez bling bling ? Je l’ai déjà écrit dans ces colonnes, le duo a déjà sorti de véritables classiques du rap français, de ceux qui imposent une singularité, une vision, une esthétique et survivent à l’épreuve du temps. Ce qui se vérifie encore ne serait-ce qu’avec le toujours génial Peinture Fraîche (Mentalow Music, 2015). Si ce duo pas comme les autres, se pose encore beaucoup de questions quand à sa position dans l’univers actuel du rap, à l’inverse, leur nouvel opus s’adresse à l’évidence au plus grand nombre bien loin des chapelles et des styles, comme peuvent l’être les nouveaux albums de Feu! Chatterton et de Mansfield TYA. Pumpkin n’a jamais autant assumé sa manière d’écrire, ce chemin de la langue qui est le sien, qu’elle incarne avec toujours plus de sensibilité et de vérité. Elle a peu d’équivalent dans cette manière d’agiter les mots, d’enrober les formules, d’oser la punchline : Oxmo Puccino, Mc Solaar (une référence historique de la rappeuse), Grems, Fanny Polly, Rocé, ARM… Et d’une certaine manière, comme ses illustres et talentueux contemporains, elle bouscule les lignes à la fois dans le fond comme dans la forme. De son côté, Vin’s Da Cuero a poussé son beatmaking dans ses retranchements, avec toujours plus de soin dans les détails, dans la composition, dans la musicalité, dans cette manière de souligner la nuance, de véhiculer l’émotion. Ce qui est le propre d’ailleurs de la musique, une histoire de vibrations, d’émotions, de partage. Au travers d’Abysses Repetita, la musique devient pour Pumpkin et Vin’s Da Cuero le vecteur d’une affirmation, le manifeste d’un droit légitime d’être soi-même et de choisir sa voie… Quelque part, Pumpkin formule dans ses textes avec poésie et sincérité son droit de questionner sa place dans ce monde complexe et normé, autoritaire et aliénant. Etre une femme, pouvoir assumer ces choix de vie dans le très émouvant “Sables Mouvants”. Utiliser sa fenêtre d’expression pour aborder les travers de la masculinité et l’importance de l’éducation des jeunes garçons (“Quart d’heure américain”) (“Quart d’heure américain”). Être citoyenne et actrice de son monde (“Pisser sous la douche”), elle a d’ailleurs lancé un principe très fédérateur de marche de ramassage de déchets à Nantes, ou quand les actes sont en pleine cohérence avec la parole. Être une amoureuse et créer avec son amoureux, elle met ainsi en scène l’intimité de son couple, qu’elle forme avec Vin’s Da Cuero, dans une mise en abîme aussi touchante que parlante (“Roman Savon”). Difficile de ne pas penser au clip de “Chimiq” en 2016 qui créait déjà cette proximité troublante entre le réel et la fiction. Le rap est évidemment cet outil précieux et volontaire pour raconter le réel tout en le mettant à distance, mais ici en mettant en balance la proximité de sa propre vie avec la complexité et l’immensité du monde. Il n’y a d’ailleurs rien d’autoritaire dans la manière d’ouvrir le débat ou en tout cas, de le poser pour le duo. La musique de Vin’s Da Cuero facilite la disponibilité de l’écoute : elle est solaire, généreuse, à la fois apaisée (“Luna Park”) et énergique (“Pisser sous la douche”), elle prolonge le sens des paroles mais leur répond aussi en toute autonomie. Elle ouvre ainsi ses propres espaces narratifs comme cette allusion non dissimulée au boom bap de KRS-One et Dj Premier sur “Pisser sous la douche”.

Pour finir, au sens propre comme au figuré, le track de conclusion s’élève au dessus de ce nouveau long format et propulse Abysses Repetita très haut et très loin : “Banana Bread”. La définition de nos identités est un sujet des plus clivants qui soient aujourd’hui. Si les notions de communautés, de cultures, de territoires et même de droits culturels devraient alimenter les débats, notamment parlementaires, elles servent trop souvent le jeu d’idéologies conservatrices et nauséabondes. En quelques mots, Pumpkin induit une question simple “Je pensais que c’était nulle part chez moi”. Se sentir quelque part chez soi, le fameux “Heimat” que souligne l’expression allemande : Chez soi, c’est là où on est né ou on habite ? La réflexion de Pumpkin est assurément nourrie par son expérience de vie. Elle évoque la ruralité et la terre, le milieu urbain. Ses voyages au long cours en Espagne et en Australie, où elle a vécu et travaillé, et où d’ailleurs sa volonté de faire du rap s’est en quelque sorte affirmée, ne sont certainement pas étrangers à la réflexion de “Banana Bread”. A l’heure où les déplacements dans le monde semblent réservés au monde occidental, où les frontières semblent vouloir se refermer, où l’urgence climatique, l’instabilité géopolitique mondiale contraint des femmes, des enfants et des hommes à fuir leurs pays, où la bétonisation des terres agricoles s’intensifient, ce morceau apporte une magnifique respiration sensible, il suscite nos imaginaires pour envisager avec plus d’humanité et d’empathie cette dimension inhérente et incontournable de notre modernité La montée progressive de la composition musicale et sonore de Vin’s Da Cuero apporte ce sentiment extrêmement fort de libération, emportée sur la fin par ces cuivres fédérateurs et puissants.

Pumpkin & Vin’s Da Cuero Abysses Repetita Mentalow Music

TRACKLIST :

Face A

Fougue
Méchante Petite Femme
Redrum
Sales Draps
Corps Céleste
Quart d’Heure Américain

Face B

Roman Savon
Luna Park
Pisser Sous La Douche
Sables Mouvants
Banana Bread


Album disponible sur Apple Music, Bandcamp, Qobuz Spotify,
mais aussi et surtout, chez tous les bons disquaires indé’ !



Critique et écoute de Peinture Fraiche et Astronaute
(2015 & 2018, Mentalow Music)

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Laurent Thore

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