« Voir une femme qui rappe, c’est anormal? » C’est en ces termes que la rappeuse française Pumpkin abordait sur son morceau « Rose Combat », la non–question que devrait représenter le fait de rapper pour une femme. Artistes à part entière, et pas simplement ersatz féminins des grands rappers médiatiques, les rappeuses ont des choses à dire et n’ont pas besoin qu’on les prenne par la main, pour les amener à tenir un micro devant un public. Pourtant, alors que j’aime le rap sous toutes ses formes, je ne peux que constater un déficit évident de visibilité des femmes dans le rap, qu’elles soient rappeuses, Dj ou beatmaker, ou les 3.
Alors forcément, quand je tombe sur un disque aussi actif que celui de la néo-Américaine Sammus, je ne peux m’empêcher de penser à toute cette diversité, cette richesse, cette vitalité, cette sagesse auprès desquelles nous passons à coté, partie cachée de l’iceberg d’un courant musical qui doit beaucoup à ces grandes artistes américaines que sont Erykah Baduh, Queen Latifah, Monnie Love ou, plus largement, à une figure historique comme Nina Simone, dont la force et la rage sont une source d’inspiration constante pour le Rap US en général.
Dès son premier single, « 1080p » Sammus illumine ses textes, façon Mc Lyte (encore une belle référence indispensable), avec une assurance jouissive, une fraîcheur fédératrice, et un flow particulièrement joueur et malin. Très vite, devant un tel aplomb, le rap reprend le dessus et j’oublie ces questions idiotes et genrées. Musicienne accomplie, Sammus se révèle, qui plus est, être un beatmaker ingénieux. Elle construit des instrus éloignés de l’humeur minimale et sombre, très en vogue aujourd’hui dans le Rap Game. Cette passionnée de jeux vidéo, remplit son univers de lumières, de couleurs, de contrastes et surtout de conviction. Elle porte elle cette fierté afro, qui suinte dans ses samples et dans ses mots comme sur « Back Stabbers ». Son flow devient par la suite plus agité, rebondissant sur des rythmiques plus agressives, alors que la tonalité du début de son Ep pouvait être un clin d’œil au fameux « Daisy Age » du premier album de De La Soul. L’ambiance bascule très vite vers une énergie qui rapprocherait Sammus de Lady Sovereign, Princess Superstar voire Peaches (à partir de « Spell It Out »). Loin d’être solitaire, Sammus a convié sur ce Ep, la précision et l’intelligence du discret Alejandro « Sosa » Tello Jr pour le travail de mix et d’enregistrement, qui donne à l’ensemble une cohérence remarquable en dépit d’ambiances différentes selon les tracks.
L’EP se termine sur le plus convenu « The Feels », qui, sans être désagréable, aurait mérité des choix de production moins classiques. Mais pas de doute, nous sommes en plein cœur de la musique afro-américaine, cette force spirituelle, qui de l’électrofunk 80, en passant par la techno de Détroit, la Housemusic de Chicago et bien sûr le Hip-Hop new-yorkais, réinvente en permanence l’histoire volée d’un peuple qui n’a jamais oublié ses racines et a trouvé dans l’art le véritable espace pour soigner le « blues » de son âme.
De par son parcours, difficile de trouver une artiste plus légitime que Sammus alias Enongo Lumumba Kasongo, véritable symbole de la femme africaine moderne, étudiante brillante et musicienne accomplie, pour poursuivre cette démarche salvatrice. Sammus fait d’ailleurs l’unanimité auprès de ses pairs et pas des moindres (Ceschi Ramos, Busdriver…), auprès de la presse spécialisée et désormais auprès des médias américains en général. Voilà donc un Ep annonciateur d’un phénomène à venir, porté par le tubesque « 1080p » et plaçant définitivement, Sammus comme une personnalité à suivre et à écouter dans la complexité de la société américaine contemporaine.
Sammus Infusion NuBlack Music Group
TRACKLIST:
1080p
Mighty Morphing
Back Stabbers
Spell It Out
Time Crisis
The Feels feat. Baba Doherty
Egalement dispo’ sur Bandcamp.
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