Cela fait une dizaine d’années que le projet de Adam Granduciel, The War on Drugs, sévit et autant de temps où l’Américain n’a cessé de peaufiner ses compositions et renouveler ses directions musicales en prenant soin de mettre la barre toujours plus haute à chaque nouvelle sortie. Ainsi d’un rock aux tendances psychédéliques des débuts il a su élargir et diversifier sa palette en incorporant avec parcimonie et bon escient d’autres influences, élargissant ainsi de LP en LP ses horizons pour aboutir il y a trois ans sur Lost In The Dream (2014, Secretly Canadian), album qui méritait cette fois-ci que l’on déroule un tapis rouge de superlatifs et nous laissait augurer d’un avenir radieux pour Adam Granduciel.
Mais rien ne nous préparait à un tel étalage de splendeur et d’émotions maîtrisées. Il faut se rendre maintenant à l’évidence, The War On Drugs ne joue plus dans la même division que le commun de groupes américains, il entre désormais dans le cercle des groupes en majuscule où siègent Wilco et feu Sparklehorse, des groupes majeurs contemporains qui n’ont cessé de faire évoluer ce que l’on a l’habitude de nommer Americana en le modernisant subtilement, lui offrant par là même des horizons infinis. Wilco a eu son apogée avec A Ghost is Born (2004, Nonesuch) et Sparklehorse avec It’s a Wonderful World (2001, Capitol). The War On Drugs aura son A Deeper Understanding comme œuvre majeure.
Si l’on voulait trop rapidement schématiser cet opus on irait à la facilité en le partageant en deux tendances. D’une part, les titres dynamiques et Pop/Rock et d’autre part les balades aux longs cours, mais ce serait faire preuve de simplification coupable tant les compositions du maître de maison sont démesurées et singulières. Il est extrêmement périlleux de faire l’inventaire des influences du compositeur en chef tant il y en a: Pop, Rock, Psyché, Shoegaze, Folk, New Wave…et que sais-je encore! Rien de bien nouveau me direz vous et j »abonderai dans votre sens! Ce qui est inédit, c’est l’assemblage de celles-ci et la justesse avec laquelle elles ont été mises en relief avec une production d’une précision et d’une richesse rare permettant à ces chansons supérieures d’atteindre des niveaux uniques.
En ouverture « Up All Night » aguiche d’emblée avec ses guitares cristallines et sa rythmique Electro soutenue par l’alliage basse/batterie et claviers en fer forgé qui font basculer le titre dans une ambiance Dance Floor ou Kurt Vile ferait une jam avec les Cocteau Twins au festival Primavera. Deuxième plage « Pain » porte en elle un espoir immense malgré le thème annoncé par le titre et mélange allègrement Shoegazing et Folk music pour un voyage au pays des songes. On écoute sur « Holding On » également ce même rythme dansant tant chéri par Of Montreal mais cette fois-ci fondu avec des guitares éclatantes comme chez Real Estate. C’est alors que les musiciens rivalisent de génie à celui qui aura la meilleure sonorité entre les claviers et les guitares, l’auditeur se régale, tout comme avec « Nothing To Find » où ils démontrent que la ligne claire peut se déhancher avec ferveur. Mais c’est dans ses balades fiévreuses que The War On Drugs subjuguent. On s’abandonne corps et âme sur « Clean Living » et « You Don’t Have To Go » qui se révèlent avoir en elles une tristesse infinie comme en leur temps « Brother In Arms » de Dire Straits mais en version indé’ au présent ou d’autres titres Springsteeniens, quand le Boss se fait défenseur des déshérités d’Amérique. Adam Granduciel possède d’ailleurs un peu la même tessiture de voix et ses chansons ont en elles le même souffle. On l’entend d’ailleurs étrangement sur « Strange Thing » ou le fantôme de Tom Joad vient fiche la frousse à Jay Mascis et Neil Halstead pendant leur sommeil. Nikki Sudden et Lawrence (Felt) n’auraient pas renié une composition comme « Thinking of a Place » non plus tant leur présence semble accompagner ce titre avec élégance.
Cet album épate tout bonnement, il irradie de part en part grâce au travail de producteur de Adam Granduciel, sans jamais tomber dans l’emphase car le musicien n’a pas cherché à nous éblouir à coups d’effet de manche mais avec une grande honnêteté et une passion que l’on imagine immense. Il a réussi à nous présenter sa vision de l’Americana en se moquant du « musicalement correct » et lui offrant par dessus tout des rêves éveillés et des lendemains qui chantent en réconciliant la culture musicale que l’on dit mainstream et celle que l’on nomme indie.
The War on Drugs A Deeper Understanding Atlantic Records/Warner France
TRACKLIST:
Side A
Up All Night
Pain
Holding On
Side B
Strangest Thing
Knocked Down
Nothing To Find
Side C
Thinking Of A Place
In Chains
Side D
Clean Living
You Don’t Have To Go
Album également dispo’ en écoute intégrale sur Spotify par ici.
Retrouvez-nous sur