Treize ans après Magnetic Island, le Gentil Ben revient aux affaires avec un album qui rejoint le club très select des chefs-d’œuvre absolus.
La bande de Ben Corbett a fait du chemin depuis les supersoniques Six Ft Hick, groupe dans lequel Ben chantait avec son frère Geoff qui, de son côté, a monté les Shifting Sands, auteurs de deux albums d’anthologie. À la faveur d’un petit changement de personnel avec l’arrivée d’une célébrité à la batterie, le talentueux Jhindu-Pedro Lawrie, Ben a rebaptisé son groupe en écho à celui de son frère. Après ses Sensitive Side, voici ses Shimmering Hands, avec Tony Giacca de retour des Six Ft Hick à la guitare et l’insubmersible Dan Baebler à la basse. L’album ouvre sur « De Bliksem » qui va étourdir les fans des Bad Seeds, pas ceux du Nick Cave dépressif des dernières années, plutôt ceux des débuts, plus rock. La mélodie, l’orchestration, la voix… C’est époustouflant. On tient un premier tube, d’entrée, un morceau dédié à Dan Sartain. Derrière, ça se bouscule au microsillon en commençant par « Spices », du pur Shifting Sands, du swamp rock haute couture. Dylan McCormack qui était le guitariste et surtout le compositeur des Sensitive Side est devenu entretemps celui des Shifting Sands. Il se murmure en backstage que c’est toujours lui qui serait derrière Brut bien qu’il ait quitté le groupe. « Five Stars » arrive ensuite ; une country swamp rock qui devrait être chantée à l’ouverture des J.O. à Paris, mais comme les J.O., on s’en cogne, c’était juste pour remettre un peu d’huile sur le feu. Troisième morceau, troisième tube. La première face est marquée du sceau Beast Records puisque cet album est une coproduction entre Beast et Spooky, comme cela arrive souvent, la ligne Rennes – Melbourne étant très bien desservie. La face A est exceptionnelle, car, ensuite, vient le pétaradant « Tactical Empathy » taillé à la serpette sur un gabarit Stones/Stooges, légèrement moins fort que les trois premiers titres en terme d’impact, même s’il détient deux ou trois gimmicks voix/guitares qui vont mettre en transe les plus excités montés sur pile électrique. Mais il fallait ça, car le tube ultime, l’énorme, la monstrueuse swamp pop « My Career » arrive en fin de face A. Le morceau saute aux oreilles comme les morpions sur la pension de famille de Madame Claude, il va tout défoncer tant il répond au profil du « tube radiophonique » raffolé par les annonceurs publicitaires pour illustrer leurs messages. En écoutant cette chanson, ce sont plus de trente ans de tubes qui reviennent comme un flash, de REM à Red Hot Chili Peppers en passant par Nirvana ou les Cranberries et je pourrais vous en servir à la pelle si vous mettiez le camion à quai. Passons à la face Spooky maintenant, à la face B pour les plus traditionnalistes d’entre vous. Une fois le tube ultime de la face A passé, on se dit que ça va se calmer, que ça va lever le pied. Des clous Marylou. On reste à haut niveau d’intensité, c’est sublime, c’est prodigieux. C’est fantasmagorique aurait dit Salvador Dali. L’ambiance oscille entre Tindersticks, Calexico et le tout meilleur du swamp rock australien, on pense aux Beasts of Bourbon évidemment, toujours serti dans le moule Stones/Stooges. « Murder Rehearsal » lance la seconde face en misant sur la voix de Ben Corbett qui fait fondre les fusibles des lignes à haute tension. Cette chanson est un autre tube millésimé Brut. Elle concentre le meilleur de cinq générations de rock en moins de cinq minutes. « Gold Leaf » n’est pas en reste, toujours aussi poisseux, ce morceau va rendre hystérique la moitié de la planète, la moitié mélomane, celle qui écoute du rock, le vrai. Tu penses qu’ils vont se calmer un moment avec « Cover To Cover (Dear Dolly) » qui avance au pas de tir, tranquille, avant qu’ils ne portent la guitare à l’épaule, qu’ils procèdent aux sommations d’usage et qu’ils tirent ! Il pleut des coups durs malgré l’impression de légèreté, voire de frivolité. Une fois de plus, c’est la voix de Ben Corbett qui canalise la tension, il fait passer toute la dramaturgie dans ses intonations. « The Leech » offre enfin un peu de répit à l’auditeur avec son tempo de sénateur, sans relâcher la pression pour autant puisque la guitare de Tony Giacca maintient la chanson en pleine charge, et on finit par une « No Encore » dédiée au regretté Brian Henry Hooper, l’ambiance est électrique, sur le fil du rasoir, au bord de la rupture, archi rock, pas très loin des New Christs ou des City Kids, dire combien ça pilonne. On tient avec Brut, un chef-d’œuvre, avec sa pochette, conçue comme d’habitude par Dan Baebler, et avec un titre bien mystérieux. Si un gros producteur, comme Live Nation par exemple, venait à mettre la main sur le groupe et si un éditeur musical inspiré venait à les signer (puisque, à en juger les notes de pochette, aucun publishing n’a en charge les droits du groupe pour l’instant), gageons que Gentle Ben & His Shimmering Hands devrait inonder les ondes et faire les choux gras de la presse ; enfin, dans un monde idéal, il en serait ainsi…
Gentle Ben & His Shimmering Hands Brut Beast/Spooky Records
Face A
De Bliksem
Spices
Five Stars
Tactical Empathy
My Career
Face B
Murder Rehearsal
Gold Leaf
Cover To Cover (Dear Dolly)
The Leech
No Encore
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