« Licorice Pizza » de Paul Thomas Anderson

Pour qui plonge dans Licorice Pizza nage dans une joie héritée du plaisir manifeste que Paul Thomas Anderson a pris à tourner son film chez lui, dans la vallée de San Fernando. Encino, Van Nuys, Sherman Oaks sont autant de lieux de tournage déjà éprouvés pour Magnolia (1999), Punch-Drunk Love (2002) ou Inherent Vice (2014), passés ici aux couleurs des années 70 pour nous faire revivre l’apparence de l’enfance californienne du réalisateur.

Licorice Pizza (le titre évoque autant un 33 tours qu’une chaine de disquaire californienne) est une histoire d’amour entre Gary –Cooper Hoffman– et Alana –Alana Haim-. On dira que Gary est un ado déjà mature pour son âge, débrouillard et qu’Alana, si elle est plus âgée, n’est pas vraiment entrée dans l’âge adulte. Alana a 25, 15, 40 ans. Gary a 15, 25, 40 ans. Tout bouge, rien n’est fixe, comme la très belle première séquence qui préfigure un teen movie qui n’advient pas.

Dès la rencontre sur le campus, PTA nous promène dans une succession de scènes qui ne sont que des détours narratifs portant en eux une part de mystère, un je-ne-sais-quoi qui marque la signature du réalisateur, précisément quelque chose que les autres n’ont pas. Si la trame du récit semble plutôt conventionnelle, PTA déroule une multitude de fils narratifs sans perdre en intensité, nous figeant, le regard béat : voilà ce qu’il advient de mon corps pendant 2h15. Appuyées par une bande-son omniprésente et de circonstance PTA multiplie les ambiances, brouille les pistes. Il y a dans un même plan plusieurs idées qui iront jusqu’à cette fin programmée où l’on retrouve deux corps en mouvement, attirés l’un vers l’autre.

Licorice Pizza est autonome en ce sens qu’il n’a pas besoin de nous, spectateurs, pour trouver son propre chemin, même dans ses détours pleins de jouissance comme la scène du camion en panne. A l’écran on voit des visages poupons, boutonnés, témoin d’une adolescence réelle loin des stéréotypes des teen movies qui proposent régulièrement le procédé imbécile de sur maquiller leurs acteurs. On sent le plaisir de PTA de magnifier ses deux rôles principaux tenus par deux inconnus du grand public alors les acteurs-stars occupent les rôles secondaires, Bradley Cooper en bouffon. Enfin, on retrouve dans le film les objets totems des années 70 comme les matelas à eau et les flippers qui sont la matérialité des petites affaires de Gary et permettent un bon nombre de traits d’humour. Quant aux voitures, aussi essentielles au film qu’aux mobilités dans la vallée, elles incarnent autant le mouvement que l’immobilité. Il suffit de les observer bloquées dans des longues files d’attente aux stations-services, conséquence du premier choc pétrolier et première déflagration dans les rêves capitalistes de la croissance éternelle, que Gary contemple à vélo, à pleine vitesse. Cette dialectique mouvement-blocage n’est rien d’autre que la trame de fond de la relation entre Gary et Alana : un temps ils sont éloignés, un autre les voilà rapprochés.

En définitive Licorice Pizza accentue les traits de génie d’un réalisateur essentiel au cinéma pour la simple et bonne raison que ce film produit du beau et ne cherche, jamais, à impressionner.

Licorice Pizza
Ecrit et réalisé par Paul Thomas Anderson
Avec Alana Haim, Cooper Hoffman, Skyler Gisondo,
Bennie Safdie, Bradley Cooper & Sean Penn
Sortie le 5 janvier 2022
Disponible sur Canal+


Extraits:


Florian Pons

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