« One + One » de Jean-Luc Godard

Hommage à Charlie Watts, premier des derniers Stones. En 1968, il avait 27 ans.

Une lapalissade liminaire soulignerait que l’addition Stones + Godard ne peut que donner envie. A moins d’en aimer aucun des deux.

Au printemps 1968, suite à un projet avorté puis un refus des Beatles de travailler avec lui, Godard pose sa caméra dans les studios d’enregistrement Olympic, au 117 Church Road à Londres. Le réalisateur s’efface et capte les répétitions de « Sympathy for The Devil », morceau introductif de Beggars Banquet (Decca, 1968), album phare dans ma période de prédilection des Stones, disons 67-72, soit six ans de génie pour l’histoire avec un grand h.
Des bobines de film, une caméra et des micros, c’est tout ce dont Godard a eu besoin. Il n’y a pas de plans compliqués qui auraient nécessité davantage de matériel ou de techniciens. En juin 1968, il pose son regard mais ce n’est pas lui qui crée, ce sont les Stones. Sauf Brian Jones, dont on ne s’étonne pas que ce soit son dernier disque. On le voit prostré, en dehors du coup, incapable d’être raccord avec l’énergie créatrice qui se dégage de l’engagement des autres et du leadership de Mick Jagger.

Les Rolling Stones & Jean-Luc Godard à l’Olympic studio en 1968.

Le matériau brut et simple que représentent les plans d’un groupe au travail et qui enchaîne les prises à tâtons (processus créatif total) ne constitue pourtant pas pour Godard la finalité du film. Bien sûr il saisit le sentiment d’un présent, d’une présence. Les Stones incarnent le réel qui ne subit aucune distorsion narrative, ce que la fiction n’aurait pu offrir : on n’aurait pas pu faire jouer les Stones aussi bien, parce que la création d’un morceau en studio ne peut être joué par des acteurs.

Pour Godard le cinéma est une forme qui pense et puisqu’il est lui-même créateur, il ajoute par montage alterné des scènes expérimentales. Ainsi entre deux prises des Stones, viennent s’intercaler tour à tour les textes d’Eldridge Cleaver lus par des Black Panthers dans une casse automobile ; la lecture de Mein Kampf dans un magasin de livres pornographiques ; Anne Wiazemsky dans les bois jouant le personnage d’Eve Democracy qui n’a que deux mots à la bouche pour répondre au journaliste insistant. Autant de scènes qui font que les spectateurs ont de quoi s’interroger. (Qui ne s’interroge pas devant un film est suspect de passivité.) Certains crient au génie, d’autres au scandale.

Brian Jones, Keith Richards, Mick Jagger & Bill Wyman pendant l’enregistrement « Sympathy for the Devil ».

Pourquoi a-t-il fait ça ?

Parce qu’il en avait envie. Après tout, ça + ça = film. Godard voulait voir ce que les superpositions donneraient. L’alternance documentaire / fiction permet des coupes franches, radicales.

D’un côté on a les Stones qui jouent, de l’autre c’est Godard qui fait jouer en prenant soin de déconstruire poétiquement et politiquement son époque. Révolution, provocation : under the stones the beach… reflet de 1968, « cinemarx » en graffiti. Cela doit ennuyer beaucoup de fans des Stones qui pensaient n’avoir que des images des Rolling Stones avec un réalisateur tout à fait dévoué au groupe.

C’est par le montage que JLG produit du cinéma puisqu’il faut mettre en rapport les choses* Le film aurait pu être uniquement un documentaire composé des prises successives dont les dernières minutes auraient donné à voir (et écouter) le morceau dans son entièreté. On aurait applaudi Godard d’avoir été au bon endroit au bon moment et d’avoir capté la naissance d’un morceau devenu légendaire. On aurait davantage écrit sur « la chance » du documentariste de tomber sur un morceau d’Histoire, un peu comme pour le plan de 10 minutes de la reprise du travail aux usines Wonder. Godard aime imposer ses choix. A ce titre, il ne nous donne pas à voir la version complète de la chanson.

Le producteur Iain Quarrier, mécontent du montage final, proposa une version alternative nommée Sympathy for the Devil. L’anecdote veut que lors de la première, découvrant la tromperie de Quarrier, JLG se leva de son siège furieux, cria au fascisme puis quitta la salle après avoir frappé son producteur. One out.

*Lire « Montage, mon beau souci », Godard dans les cahiers du cinéma, décembre 1956.

One + One écrit et réalisé par Jean-Luc Godard,
Avec les Rolling Stones (Mick Jagger, Keith Richards, Brian Jones, Charlie Watts & Bill Wyman),
Nicky Hopkins, Rocky Dijon, Anne Wiazemsky, Iain Quarrier, Frankie Dymon & Sean Lynch.


Affiche de la version alternative du film,
renommé « Sympathy for the Devil »

Florian Pons

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