France est centré sur son personnage principal, France De Meurs (Léa Seydoux), une journaliste iconique pour une chaine de télé à la Cnews.
Peu importe la forme et la couleur de ses tenues, elle est reconnue de tous dans l’espace public. France, prénom évidemment pas anodin, vit avec sa célébrité qu’elle semble en définitive apprécier malgré quelques remises en question dont nous ne sommes pas dupes. Elle se convainc elle-même qu’elle a besoin de se ressourcer et quitte un moment les plateaux télé pour mieux revenir. Un mois de convalescence à la montagne, façon XIXe siècle, où elle rencontre Charles qui fait mine de ne pas la connaitre pour mieux la piéger en lui chantant la sérénade en latin, moment ubuesque me rappelant aux bons souvenirs de Ma Loute (Bruno Dumont, 2017).
Le monde de France sonne creux, factice et pendant 2h10, Dumont s’obstine à vider le film de tout réel afin de montrer, cyniquement, la vacuité du journalisme de masse et des journalistes qui en constituent le milieu. En regardant ce qui se passe dans les cadres, je trouve que le film brille davantage par sa forme que pour le fond ou le jeu d’actrice de Léa Seydoux, pénible. On argumentera qu’elle en fait trop car elle c’est sa fonction, tel le garçon de café de Sartre. On ne voit qu’elle, aussi imposante que son égo, flatté en permanence par les mots creux de son assistante Lou (Blanche Gardin) qui a son téléphone portable implanté dans la main gauche, à l’affût des réactions sur les réseaux sociaux. Lou est le symbole de la chargée de com’ dans le monde moderne, celui des likes et des algorithmes, des-avis-de-tous-sur-tout : le monde tient dans un iPhone. Peu importe les décisions prises, les phrases prononcées, les gaffes à l’antenne, tout le monde aura oublié dans 24 heures comme le dit si bien Lou. Même une fausse manipulation qui active le son de la régie en direct et qui révèle aux téléspectateurs la supercherie du reportage diffusé, dont France se targue d’être la seule journaliste à proposer des images de cette intensité. Poids des mots, choc des vidéos. Rien de nouveau. France a évidemment fait jouer les migrants, qu’elle ne considère ni plus ni moins comme des simples acteurs, un simulacre de réel puisque vidé de sa substance par le tournage-montage. La fabrication des images. France, dont on se demande si elle n’est pas bipolaire, se sert allégrement du malheur des autres pour nourrir sa propre souffrance, sans que nous spectateurs, n’éprouvions de la sympathie. Elle offre (elle voit ça comme un cadeau au monde) du misérabilisme spectaculaire tout en se considérant en mission lorsqu’elle va sur le terrain. Elle met en scène la guerre, commandant à son cameraman des plans de coupes, faisant refaire des prises avec des claquements de doigts aux soldats en se foutant éperdument de leur cause, puisqu’il n’y a que la sienne qui compte. Sans éthique, le journalisme a-t-il un sens ?
Regardez le JT, vous en sortirez déprimé : davantage qu’une approche sociologique des médias, Bruno Dumont propose de nous questionner sur notre rapport à l’obscénité, à la cruauté de l’actualité, mise en scène par un procédé de distanciation puisque le réalisateur nous demande de conscientiser que le simple fait de regarder les chaines d’actualités valide leur propre existence et cautionne leur façon de faire. A propos de la distanciation -thème cher à Michael Haneke– on opine du chef lors du débat télé dans lequel Bertolt Brecht est expressément nommé. Toutefois on est en droit de se demander qui dans l’audience de Dumont ignore tout de la façon de faire de ce monde médiatique, de la société du spectacle, même sans avoir lu Debord. Sur ce point, le film manque de fond. Dumont dévoile dans la première demi-heure sa satire des médias (parisiens) qui revient en boucle tout le long du film. De beau se dégage la musique de Christophe, dont je voudrais rappeler qu’il était passionné par l’expérimentation sonore. Tout comme Dumont qui propose dans ses films des procédés-sons intéressants. Dans France, le son d’ambiance est souvent absent. Dumont vide Paris à l’image des plans en voiture filmés au grand angle qui donnent toujours l’impression que les personnages sont loin les uns des autres, dans leur bulle. Lorsque la caméra, toujours au grand angle, est placée derrière le volant c’est pour montrer comment les pleurs (encore et toujours) de France la déforme, en lui donnant une apparence inhumaine. Elle est laide.
Mais l’artifice répétitif pèse aussi sur le film. L’ennui guette car une certaine lourdeur s’installe avec des plans inutiles comme la scène chez le psy’ pendant sa convalescence, où là encore il est davantage question du formel : glace (France) / glace (la vitre) / glace (la montagne). Il en est de même pour la répétition des travelling avant très lents.
Critique de la bourgeoisie, il faut la regarder se pâmer devant la beauté d’un paysage de montagne. Lorsque France regarde le paysage ce n’est pas lui en tant que tel qu’elle apprécie mais l’amour d’elle-même en train de contempler. Ainsi va son narcissisme.
Tout dysfonctionne : Biolay, Seydoux, Gardin ne jouent pas ensemble. On peut demander à ses acteurs de jouer faux pour être juste. Postulat à débattre. La scène du repas chez le couple De Meurs est à ce titre exemplaire puisque le champ-contrechamp montre les yeux de France et de Fred ne regardant pas dans le même sens alors qu’ils se font face, ils sont en opposition. France est enfermée dans son petit monde bourgeois et n’arrive jamais à rencontrer l’Autre. Elle le percute d’abord (accident de scooter de Baptiste) et ira faire commerce des indulgences auprès d’une famille prolétaire qui vit dans une petite maison cossue éloignée de l’image d’un petit appartement vétuste de banlieue, disons au-delà du périphérique. Un chèque de 3000 euros pour laver sa faute. Fred, son mari méprisé, lui demandera des comptes. France gagne cinq fois plus. Est-ce que cet accident était réel ou sa perversité l’aurait poussé à inventer. La rencontre avec Baptiste ne semble pas réelle parce qu’elle n’éprouve rien, juste une culpabilité personnelle qui met en porte à faux son personnage public. Elle s’accable un peu d’être une mauvaise mère, de ne pas aimer son mari, écrivain qui n’a pas l’air bien reconnu si ce n’est par le déterminisme qui l’a fabriqué. France et Fred habitent un
appartement d’apparat (la forme bourgeoise : les apparences, le décorum). Là encore, on dirait qu’ils ne vivent pas le lieu : ils l’occupent, ils ne font que passer. Les personnages n’ont aucune vitalité. France, toujours dans son entreprise de se rapprocher des autres, tente de participer à une soupe populaire : France rencontrerait-elle la France ? Elle se fait insulter, cracher dessus. Antagonisme de classe insurmontable. Plus tard, c’est elle qui crachera littéralement sur Charles. Le seul moment où l’on peut supposer que la rencontre ait lieu c’est lorsque France fait face à un paysage de plaine des Flandres : on retrouve le Nord cher à Bruno Dumont.
Dumont propose aussi des ruptures narratives, comme la scène de l’accident de Fred et Jojo (le fils abandonné), où il s’agit encore une fois d’une recherche esthétique, comme si la disparition des deux proches de France devait se faire de manière abyssale alors que la voiture semble pouvoir éviter la sortie de route, non sans nous rappeler la scène finale du Salaire de la peur (moins le montage alterné). Scène utile ? Uniquement sur la forme.
Enfin, apparait la violence physique finale (on a déjà vu ça chez Dumont,) un Vélib détruit et France sur l’épaule de Charles, long plan dont on attend presque un regard caméra, comme un dernier effet de distanciation, des yeux vides de France qui n’aura jamais dépassé ce qu’elle est, par métonymie, la facticité et la cruauté : le vélo détruit n’est rien par rapport à tout ce qu’a fait France. Cynisme. Générique. Je sors sans crier au génie, pour cette fois.
France Écrit et réalisé par Bruno Dumont,
d’après l’œuvre Par ce demi-clair matin de Charles Péguy.
Avec Léa Seydoux, Blanche Gardin et Benjamin Biolay
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