AC/DC « Bad Boy Boogie »

Paradis perdu
Mélomaniaque

Gamin, je n’avais d’oreilles que pour deux groupes. D’abord Dire Straits, puis AC/DC. Personne n’est parfait. L’occasion d’acheter de la musique était rare à l’époque, faute d’argent de poche. Heureusement, les bandes magnétiques des cassettes étaient réenregistrables, il ne restait plus qu’à trouver les originaux. Ma première fois c’était « Thunderstruck », le clip dans le top 50, sur Canal plus. Un copain de mon frère m’a alors prêté « The Razor’s Edge ». J’étais en 5ème. Assez monomaniaque, j’étais capable d’écouter le même morceau une dizaine de fois d’affilée sans m’en lasser. D’abord « Money for Nothing », donc, puis « Thunderstruck ». Le son était rugueux, la faute à ce poste Akai de piètre qualité, mais aussi au groupe lui-même. Bien que surproduit, ce dont je m’apercevrais bien plus tard, cet album était pour moi une révélation, l’entrée dans l’adolescence, la rebel attitude, une musique de dur, agressive et bruyante. le collégien est con, oh ça oui, mais inculte, aussi.

Rencontre du deuxième type

Alors que nombreux sont ceux qui ont découvert le groupe à travers « Highway to Hell » version studio, j’occultai cette période du groupe pendant quelques années. Après avoir une fois entendu ce titre lors d’une boum, rassemblement de jeunesse à des fins éducatives en matière de roulage de pelles, mon oreille jusqu’ici peu attentive réussit à détourner mes yeux de cette jeune allemande fraîche et peu farouche et s’écrier : mais qui chante ? Comment ce chanteur peut-il être le même que l’autre ? Enfin, c’est la même personne, vraiment ? Au fait, merci les gars, l’allemande s’est fait la malle.
Même le disquaire le plus retors du fin fond du Loiret me l’apprît. Non, il ne s’agissait pas du même. Bon Scott, il s’appelait. Comment un chanteur mort à l’arrière d’une Renault 5 étouffé dans son propre vomi pourrait être éclipsé par un type à la voie limée par un rail de chemin de fer ? Toujours sur cassette, je récoltai Highway to Hell à la radio, car, à l’époque chers jeunes gens, l’on pouvait écouter du « rock » sur la bande FM. Mais ce n’est qu’en fin de 3ème que je compris enfin ce qu’était le groupe que je chérissais déjà. Oui, une insulte à l’intelligence, mais j’y reviendrai.
Florent, mon pote d’enfance, mon ami, mon frère, vint passer quelques jours de vacances chez mes parents. Il m’offrit Let There be Rock (1977, album enregistré « live » en studio, mais ça je l’ai appris il y a peu), en cassette. La claque. le vieil Aiwa s’étant fait supplanter par un poste laser Sony, mais toujours un son moisi, toutefois boosté par un loudness du plus bel effet, le rendu me laissa coi. « C’est vieux mais ça sonne mieux ». Le Live at Donington cartonnait dans les charts (si, si), dans ma chambre, aussi, mais ça sentait les arrangements à plein nez. Aveuglé par tant solos, de grimaces et roulades, je me laissais volontairement berner par cette prestation certes grandiose, mais manquant cruellement de spontanéité. S’en suivirent quelques années d’admiration béate un peu conne autour de Last Action Hero et son « Big Gun », de la sortie de Ballbreaker, album de 1995, puis d’un concert à Bercy l’année suivante, mon premier, dans une une ferveur incroyable, mais l’intérêt pour la période 1974-1980 grandissait à au gré des découvertes d’albums et de raretés distillées ça et là par Francis Zégut, alors animateur radio sur RTL.

L’indiscible croyance

Août 1996, foire aux antiquaires de Gien (je vous laisse consulter une carte pour mesurer l’étendue des dégâts). Dernier stand au fond à droite, une disquaire. Un stand improbable au milieu des fauteuils Louis XV et commodes Louis XVI. Elle vend même des vinyles. Je tombe sur enregistrement pirate du Live at the Paradise Theater in Boston, fameux bootleg de 1978 jusqu’alors inconnu à mon bataillon. Il ne me quittera plus, car heureusement il reste une platine à mon père, qui l’use de temps à autre avec ses vieux 45 tours. Ce sera mon premier vinyle, 120 francs, et une dernière claque reçue de la part des Australiens. cette musique n’était définitivement pas faite pour les stades. Le son est crade, les choeurs dégueulasses, les cris de Bon Scott décollent du siège et le son arrache.
Qu’est-ce qui fait qu’on y croit, à cette musique ? la jeunesse, la fougue, la spontanéité ne suffiraient pas à expliquer pourquoi ce groupe, qui aura fait la même musique pendant 40 ans, épatait autant par ses prestations scéniques à l’aube de sa carrière. Sexe, drogues et rock’n roll, la maxime seyait à merveille à Bon Scott. Il transpirait le cul, le whisky et la baston. « Can I sit on your face girl ? You can sit on mine anytime » faut oser l’annoncer au micro… (Transformation d’un de leurs premiers titres interprété live ici). Les frères Young racontaient qu’il pouvait disparaitre deux jours entiers en pleine tournée, juste pour suivre une nenette. Bite, couilles, bière, culbute, rock, électricité, hou ‘tention ça pique, les textes ne volaient pas plus haut que le bas du front. C’en est presque navrant. De quoi leur faire un procès ? Allez-y. Autre temps, autres moeurs. N’’empêche, ça groovait. Rien que du blues bien électrifié. Bon Scott savait chanter. Ils croyaient en ce qu’ils faisaient. Toutes les conneries racontées étaient vécues jusque sur scène.
Après sa mort en 1980, atterrissage pour tout le monde. L’insouciance avait disparue, et l’alchimie aussi. En bons musiciens, les mecs arrivaient à donner le change. Tellement bien qu’ils le feront jusqu’à l’épuisement. Physique et mental. Alors oui, tous les morceaux d’AC/DC se ressemblent, tous les albums aussi. Ils sont devenus une franchise commerciale, une foire ambulante, de la musique de stade, de la musique de beauf’, allant jusqu’à faire une sortie exclusive d’album chez Walmart. Si, si. Un supermarché ‘ricain, surtout réputé pour ses « people of Walmart ». Dans le genre rebelle… C’est pas beau de se moquer, hein, mais de qui se moque-t-on vraiment ici ?

L’hallali

Vivien, un ami, me le disait encore pas plus tard qu’au barbecue d’hier « Y a pas à dire, les Australiens savent faire des riffs ». Bon, c’était à propos de King Gizzard, mais quand-même.
Les riffs, justement, coupés au cutter, nets, précis, sortaient d’une énorme Grestch Jet Firebird de 1963 surnommée « The Beast », qui cachait allègrement la silhouette squelettique de Malcom Young. Pour que son petit frère puisse se rouler par terre avec sa Gibson SG à la con, il fallait bien assurer la cadence. Aujourd’hui Malcom, guitariste rythmique et alcoolique, âme du groupe, est mort de démence. Brian Johnson est sourd comme un pot, remplacé au pied levé lors de la dernière tournée par Axl Rose -bonne blague-. Phil Rudd, le batteur, soupçonné un temps d’avoir commandité un double assassinat, puis assigné à résidence pour menace de mort, tape ailleurs que sur des fûts ; et Cliff Williams, bassiste, seul membre apparemment raisonné, veut prendre sa retraite. Allez Angus, un petit tour solo ? Vaudrait mieux pas, ça gacherait des souvenirs.

Aujourd’hui encore je fais tourner sur la platine ce live au Paradis de Boston, mon pirate tout pourri, enregistré sur un tempo légèrement trop rapide, avec une version de « Rocker » plus-rock’n-roll-tu-meurs, suivi d’un « Dog Eat Dog » apocalyptique. Un vrai faux en guise de référence ultime. Pour y croire encore un peu.

AC/DC Bad Boy Boogie
Concert enregistré le 21 août 1978 au Paradise Theatre de Boston.

Face A

Live Wire
Problem Child
Sin City
Gone Shootin’
Bad Boy Boogie

Face B

The Jack
High Voltage
Rocker
Dog Eat Dog


Gilles Philippe

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