Damon Albarn « The Nearer The Fountain, More Pure The Stream Flows »

Damon Albarn a sorti son second album solo. Et il suffit de quelques clics sur Google Actus pour accéder aux chroniques mainstream et se voir servir le contexte formidable dans lequel il a été créé. Vous allez voir, c’est formidable. Déjà deux “formidable” ? C’est formidable !

Allez, on se lance avec un bingo* storytelling de sortie d’album :
● Damon a plus de cinquante ans, sa fille en a 22. Damon pourrait bien avoir atteint une sorte de MATURITÉ après des années à être un peu foufou.
● Damon a une maison en ISLANDE et une autre dans le DEVON. Le/la COVID a été une épreuve pour tous et il s’est confiné face aux volcans** avec des musiciens de talent pour se mettre en prise DIRECTE avec les éléments, la NATURE. C’est incroyable de redécouvrir le SENS DES VRAIES CHOSES quand on se pose et qu’on ne vit plus une vie à la vitesse du son, entre Londres et le monde entier. C’est quelque chose qu’il voulait faire depuis LONGTEMPS.
● Damon est très très CULTIVÉ et c’est un poète romantique Anglais qui nous vaut le titre de l’album. Il y a de tout dans sa musique creuset, du classique, du jazz, de la pop, de la poésie. Une melting pop quoi…

Bref, il y a mille choses significatives et bien plus encore qui légitimeraient d’écouter cet album. Damon doit, quand même, avoir un sacré bilan carbone et vivre dans une sorte de bulle dissonante entre ses aspirations profondes et son train de vie réel de cinquantenaire blanc britannique, accessoirement musicien le mieux payé au monde en 2021 selon certaines sources. Mais comme il nous fait boire le verre à moitié plein de sa névrose en musique, plutôt que de sombrer totalement en thérapie et dans d’autres excès mancuniens, c’est ok pour nous. Finalement ça ruisselle, quelque part, c’est génial ! Oui, on peut quand même griffer un peu ce beau tableau, ironiser : c’est la richesse des gueux laborieux écouteurs de disques que nous sommes… Bref, tout cela pour dire que l’on peut continuer de détester, tranquillement, sur le papier, Damon dont il paraît, en plus, qu’il arbore une coupe mulet (on me l’a signalé sur Instagram, c’est donc un fait).

Hic et nunc, ipso facto

Et pourtant, et pourtant… Derrière Damon – sa vie, son oeuvre –, c’est un album fort agréable qui peut même vous saisir, par moments, si l’on s’extrait du personnage et de la gangue marketing des maisons de disque. A la première écoute, ce n’est d’ailleurs pas forcément l’Islande de Sigur Rós qui saute aux oreilles – ben oui, on ne peut pas trop dépasser le traitement musique/éléments de Sigur Rós en la matière, quand même – mais plutôt le charme désuet d’une station balnéaire surannée en hors-saison, peuplée de vieux aristos déclassés***. Genre un dimanche au Lido de Venise à la fin novembre. Mais ne connaissant pas la majestueuse et dure nature islandaise, peut-être que ceci explique cette comparaison mentale mal située géographiquement. Quoi qu’il en soit et quel que soit l’endroit où l’on se trouve (sur la lagune ou au pied des volcans), c’est bel et bien la voix “perfectible” de Damon qui porte cet édifice de relâchement et de lâcher prise en direct dont on peut parfois s’émouvoir, une voix secondée par des instruments et musiciens qui paraissent limite trop propres et sages à côté. C’est peut-être même cette combinaison de perfectible et parfait qui porte à la fois la limite et l’intérêt de cet album. Allons comprendre…
Musicalement les morceaux alternent donc bornes et limites entre pop mélancolique (« Royal Morning Blue », « Daft Wader », « Particles ») voire “créolisée”/“appropriée” (« Combustion », « The Tower of Montevideo », « Polaris »), on flirte parfois avec la shoegaze**** (« The Nearer… », « The Cormorant », « Esja ») mais aussi du easy listening (« Darkness to Light ») avec un peu de roue libre créative façon cherry on the cake (« Giraffe Trumpet Sea »). Tout cela trahit, de fait, que Damon était jeune dans les 90’s, non ? On imaginera que oui… Mais ce n’est pas grave, c’est juste un fait. Car, à l’arrivée, on se retrouve avec un album de très belle facture et assez inspiré si l’on est sensible au spleen, on ne peut lui enlever. Un album qu’on adore détester en somme. Tu sais, cet album où Damon s’est posé le temps d’une pandémie et a, tour à tour, laissé s’exprimer Damon l’habitant du monde et Damon le gentleman / farmer / poète / désabusé / naturaliste vieillissant du Devon.

Damon, presque un anagramme de Monde (de merde)

Mais gentleman quand même, avant tout, qui sera prêt à être anobli d’ici une bonne vingtaine d’années par Elisabeth II (qui sera toujours là, forever), à force de bons services rendus à une culture britannique périclitante.
La faute probable au Brexit, à 007 qui meurt au cinéma, à Meghan Markle et aux Ecossais qui veulent leur indépendance en portant des t-shirts avec “Blur is shite” dessus. Et Dieu sait ce qui va encore suivre…

* le bingo étant un sport suburbain pratiqué par les Anglais pétris d’existentialisme, leur troisième activité préférée après la messe et la lecture de journaux de merde.
** aurait-il produit un album de dimension similaire en s’isolant dans le Cantal et sa magnifique vallée de la Jordanne ? Que fait la Marque Auvergne pour attirer les vrais talents aux vrais endroits ? Questions sans réponses…
*** avouez que vous auriez pu penser à Vichy avec cette description, pour une fois ça aurait changé de l’image de la ville collabo…
**** fait notable pour appuyer cette affirmation : c’est Simon Tong, seconde guitare de feu The Verve, qui officie avec bonheur sur l’ensemble de l’album et qui, caché derrière Damon, porte probablement la magnificence qui affleure ça et là.

Damon Albarn The Nearer The Fountain, More Pure The Stream Flows Transgressive

TRACKLIST

Face A

The Nearer The Fountain, More Pure The Stream Flows
The Cormorant
Royal Morning Blue
Combustion
Daft Wader
Darkness To Light

Face B

Esja
The Tower Of Montevideo
Giraffe Trumpet Sea
Polaris
Particles


Album disponible sur Apple Music, Bandcamp, Qobuz, Spotify & Tidal,
mais aussi et surtout, chez tous les bons disquaires indé’ !



Rodolphe Canale

One Comment

  1. Je crois bien que c’est une des plus justes critiques sur cet album que j’ai pu lire jusqu’à présent.
    Par désespoir peut-être ou par défi, je suis allée l’écouter directement en Islande. Et ça allait bien ensemble. Et il rendait vraiment hommage aux musiciens sur scène.

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