Joe Jackson « Fast Forward »

Fast Forward

Joe Jackson foulait depuis longtemps des terrains infranchissables par mes oreilles dans des contrées bannies de mon vocabulaire, mais, malgré tout, quand une de ses tracasseries me tombe sous la main, je jette un coup d’œil par curiosité. Je suis adepte de JJ première époque, Look Sharp (A&M, 1979), puis I’m The Man (A&M, 1979), Beat Crazy (A&M, 1980), Jumpin’ Jive (A&M, 1981), Night & Day (A&M, 1982)… Tu comprendras que j’ai lâché l’affaire au fil du temps avec sa folie des grandeurs philharmoniques. Sept ans que l’Anglais n’avait rien sorti de neuf en dehors de l’hommage à Duke Ellington et autres bizarreries sans conséquence. Mais là, Fast Forward m’émeut comme disait une Salers de mes connaissances. Il redresse le cours du Jackson !

Fast Forward s’invite à bord du sublime The Diving Board (Mercury, 2013) d’Elton John — écoute-le d’abord et on en reparle après si tu veux bien —. Le morceau-titre qui ouvre l’album pourrait embarquer sur The Diving Board avec son piano champêtre. Fast Forward devait initialement sortir sous forme de quatre ep’s, d’où ses seize titres. Quatre singles enregistrés dans quatre villes. New-York, Amsterdam, Berlin et La Nouvelle-Orléans. L’ensemble est cohérent et homogène, pas forcément stable sur ses seize chansons, mais suffisamment solide pour encaisser le feu nourri que les geôliers-snipers de la pensée unique ne manqueront pas de tirer sans sommation pour mieux le dégommer. Sans écouter comme le veut l’usage.
Dans le chapitre new-yorkais, JJ revisite le “See No Evil” de Television avec brio et finesse d’esprit. Sans le bouleverser, tout en se l’accaparant. Bien vu Lulu. Avec “King of the City” — cramponnes-toi, ça va te secouer la pulpe sans toucher le siphon —, il oscille entre un Phil Collins revenu à des considérations moins emphatiques et un Elton John doux rêveur. Tu ne l’as pas venue venir celle-là avoue ! “If It Wasn’t For You”, quant à elle, commence bien… avant de lâcher prise comme un pet foireux d’Elton John dans les années 80…
Avance rapide pour se rendre à Amsterdam qui démarre avec la superbe “A Little Smile” qui te le colle, le sourire, pour la journée. La voix d’un enfant sur “Far Away” avec son orchestration féérique et ses violons, ça foutrait presque la trouille. Comme si JJ s’engageait dans un Pierre et le loup à lui. Heureusement, quand il entre dans la chanson, ça la remet en ligne. Mais les intentions symphoniques sont là… “So You Say” et “Poor Thing” remettent de l’ordre avant de se rendre en avance rapide à Berlin pour une splendide “Junkie Diva” qui permet à la caisse claire de reprendre les choses en main. Le batteur étant celui de Tindersticks et le bassiste, celui de Tom Waits et Bob Dylan. Un titre rythmé, enlevé, un morceau qui va pétiller en concert. “If I Could See Your Face” est surprenante avec sa boucle rythmique et une approche qui fait penser à Ez3kiel période Battlefield (Jarring Effects, 2008) entre Pink Floyd, post-rock et dub-trucmuche-machin-chose. “The Blue Time”, ambiance feutrée, lumière tamisée, tentures veloutées, comme si Calexico était en résidence dans un
cabaret berlinois et plus encore avec “Good Bye Jonny”, un vieux classique allemand, repris de manière très solennelle, très germanique.

Avance rapide pour se rendre à La Nouvelle-Orléans. Le dernier quart de l’album a des intentions nettement plus musclées. Accompagné par des Galactic et une section cuivres, forcément, la couleur est plus chaude, plus ambrée, plus Nouvelle-Orléans, plus rock, plus soul. Preuve supplémentaire que La Nouvelle-Orléans est le berceau de la seule musique qui vaille. A soixante piges passées, Joe Jackson garde le cap, en dehors des clous, toujours en marge de la tendance, sans la précéder ni lui courir derrière, il est à part, unique, insaisissable, imprévisible et, avec Fast Forward, il revient à ce qu’il fait le mieux, des jolies chansons.

Joe Jackson Fast Forward Verycords
Site web de Joe Jackson et Verycords.

TRACKLIST

Fast Forward
If It Wasn’t For You
See No Evil
Kings Of The City
A Little Smile
Far Away
So You Say
Poor Thing
Junkie Diva
If I Could See Your Face
The Blue Time
Good Bye Jonny
Neon Rain
Keep On Dreaming
Satellite
Ode To Joy


Patrick Foulhoux

Ancien directeur artistique de Spliff Records, Pyromane Records, activiste notoire, fauteur de troubles patenté, journaliste rock au sang chaud, spécialisé dans les styles réputés “hors normes” pour de nombreux magazines (Rolling Stone, Punk Rawk, Violence, Dig It, Kérosène, Abus Dangereux, Rock Sound…), Patrick Foulhoux est un drôle de zèbre.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.