Matt Berninger « Serpentine Prison »

Un peu plus d’un an après I Am Easy to Find de The National, voilà que son chanteur Matt Berninger nous fait le coup de l’incartade egocentrée. Doit-on craindre là une éventuelle séparation de l’un des poids lourds de l’indie rock américain ?

Rien n’est moins sûr, et il y a même fort à parier que tous ces projets solo* nourrissent les futurs albums du quintet de l’Ohio. Mais revenons au principal intéressé qui avait déjà tenté il y a cinq ans un semblant d’échappée solo en dehors des National. Passé quasi inaperçu, El Vy -monté au côté de Ben Knopf de Menomena– apportait pourtant un peu de fraîcheur et de légèreté dans la carrière du chanteur : une pop indé’ légère, plutôt bien foutue mais pas inoubliable pour autant. On sent d’emblée que Serpentine Prison est bien plus réfléchi, car quitte à s’afficher au premier plan, autant faire les choses bien et ne pas se prendre les pieds dans le tapis. Pour la première fois, Berninger s’assume totalement en meneur, apparaissant même tel un dandy, mocassins aux pieds, peint sur la pochette du disque. +100 points ego ! Le chanteur, qui a émigré sur la côte ouest, a, ces dernières années, gagné en confiance (il en faut pour se lancer en solo) et en charisme. Peut-être que le soleil californien (ou sa consommation de weed) y est pour quelque chose, mais toujours est-il qu’il a l’air à son aise le Matt, comme s’il avait enfin accepté sa position de leader. Fini de se planquer à moitié saoul recroquevillé derrière son micro, dorénavant, Berninger est à l’aise devant un public qui ne cesse de grandir d’année en année, et ce n’est pas ce semblant de danse souvent maladroitement exécutée sur scène qui nous fera dire le contraire.
Sur ce premier disque, ses textes (écris, pour la première fois, sans l’aide de Carin Besser) sont moins sombres et mélancoliques, tandis qu’il laisse entrevoir une nouvelle facette de sa personnalité, un Berninger crooner, parfois « lover » et sensuel… On ne va pas se mentir, il est impossible de ne pas penser aux National à l’écoute de ce disque, sa voix étant clairement indissociable du quintet de l’Ohio, mais c’est musicalement qu’il tente de se démarquer de son groupe. On pense quand même un peu aux débuts des National (Sad Songs for Dirty Lovers en tête) de part l’omniprésence des guitares acoustiques et une atmosphère plus roots, parfois proche de l’americana (un harmonica par ci, une pedal steel par là…). L’influence majeure étant le Stardust (1978, Columbia) de Willie Nelson, disque préféré du paternel de Berninger, au point que ce dernier ait carrément choisi d’embaucher le producteur du dit album : un certain Booker T. Jones. Le géant soul et son inimitable orgue, offre encore plus de sensualité, d’élégance à des chansons déjà foutrement classieuses. Alors oui, encore une fois, difficile de ne pas penser aux National, tant certains schémas de morceaux ressemblent comme deux gouttes d’eau à ceux des frères Dessner (le piano de « Take Me Out of Town » ou la section cuivre de « All for Nothing ») mais ce n’est heureusement pas ce qui marque le plus dans Serpentine Prison.

Au final, et pour ne pas s’étaler pendant encore quatre paragraphes sur une comparaison titre par titre Berninger/The National, concluons simplement en disant que, sans être pour autant déroutant, Serpentine Prison est ce que l’on pouvait attendre de mieux d’un Berninger revigoré sous le soleil californien, prêt à devenir le grand chanteur américain qu’il mérite d’être.

Matt Berninger Serpentine Prison Book Records/Concord

TRACKLIST :

Face A

My Eyes Are T-Shirts
Distant Axis
One More Second
Loved So Little
Silver Springs

Face B

Oh Dearie
Take Me Out Of Town
Collar of Your Shirt
All For Nothing
Serpentine Prison

Album disponible sur Apple Music, Bandcamp, Deezer, Qobuz, Spotify & Tidal,
mais aussi et surtout, chez tous les bons disquaires indé’ !

* Tous les membres du groupes possèdent à ce jour un projet parallèle aux National. Big Red Machine pour Aaron Dessner, de nombreuses B.O. pour Bryce, LZNDRF pour les frères Devendorf et Royal Green pour Bryan.





Critique et écoute intégrale
de l’album de EL VY Return to the Moon (2015, 4AD)

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Stéphane Pinguet

Disquaire indépendant aigri mais passionné, amateur de musique, cinéma, littérature et bandes dessinées en tous genres.

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