Metallica, Through the Never

Through the Never
Il y a quelque chose en Amérique qu’on ne peut pas comprendre sans comprendre Metallica. Et on ne peut pas comprendre Metallica sans envisager la dévotion réelle de son chanteur James Hetfield pour les fans du groupe. Leur fidélité malgré les années, les atermoiements some-kind-of-monsteresques et loadesques, la perte d’une certaine légitimité, les horreurs symphoniques, a certainement sauvé sa vie. Hetfield, Ulrich et Hammett savent qu’ils leur doivent beaucoup. Et ce qui était une approche essentielle du groupe – ne pas se moquer de son public – dont témoignait la sortie d’un coffret aussi monstrueux que Live Shit, Binge & Purge dès 1992 est devenu, vingt ans plus tard, le moteur d’une captation de concert improbable, vouée à un culte inéluctable, Through the Never.

On découvre d’abord la vue nocturne et aérienne d’une ville nord-américaine anonyme. La caméra descend peu à peu au-dessus d’une arena, « Metallica joue en ville », atterrit à côté tandis qu’une voiture poussive se gare à l’arrache. En descend un fat guy moustachu qui bondit de joie, frappe le capot, exulte. Un gamin (Dane DeHaan) en skate le double et s’engouffre dans le parking souterrain de l’arena, on le suit jusqu’aux coulisses. Les techniciens s’affairent, les membres de Metallica déambulent sauf Trujillo que le gamin aperçoit au détour d’une porte, en train de s’échauffer dans une pièce aux murs couverts d’amplis. Manifestation nette, volontaire de l’étrange. Ennio Morricone retentit, comme depuis tant d’années, puis le show débute.

Metallica: Through the Never

Le spectateur en prend, pour peu qu’il soit correctement équipé, plein les yeux et plein les oreilles. Dès « Creeping Death », c’est la foire aux lasers. La scène, à l’américaine, est centrale, les musiciens passent leur temps à courir d’un micro à l’autre, d’une avancée à l’autre, suivis par des grues discrètes et des steady-cam. Le filmage est très musical, équilibré entre la retranscription des événements et la tenue d’ambiances. Il n’oublie pas la dynamique narrative du concert ni des morceaux, qualité qui a distingué Metallica de ses nombreux confrères métalliques engloutis dans les affres du genre et de la chapelle. Deux choses ont permis au groupe d’exploser et de durer : le souci et le talent du récit d’une part, le charisme d’Hetfield d’autre part, s’exprimant corps et âme dans cette langue insaisissable, abrupte, absconse et qui sait pourtant faire gloser, le white trash.
Le gamin, et nous avec lui, sommes ravis à notre extase devant un tel étalage de puissance : le régisseur l’envoie chercher un véhicule égaré quelque part en ville. Le montage divise alors la narration entre la suite du concert, montée frénétique tandis que les effets pyrotechniques s’entassent sans complexe, et la quête du gamin qui n’oublie pas de gober avant de prendre le volant, de s’emplafonner dans une voiture, de survivre à une émeute urbaine entre gangs post-apo’ et policiers paramilitaires tous aussi violents les uns que les autres, d’être pris en chasse par un cavalier de l’apocalypse aux méthodes KKK, de tâter du vaudou etc. Le surnaturel et l’ambigu règnent ici parce que Metallica, depuis toujours, le martèle : rien n’est simple. Sans dévoiler plus avant, les deux fils se rejoignent et tandis que l’on prenait un pied grandissant devant les effets de scène imaginatifs, Hetfield assène qu’on « a pas besoin de tout ce bordel ». Trois amplis, une batterie, Kill’em All. Retour aux sources, ce n’est ni mieux, ni moins bien, c’est aussi le groupe.

Metallica: Through the Never

Alors certes, l’étalonnage, à la pointe, est déjà aussi daté que celui des VHS de Live Shit, pas mal de parties sont rejouées, mais même Ulrich finit par devenir sympathique et surtout, dans la grande tradition des films semi-fictionnels semi-musicaux à la Rude Boy, Through the Never se pose en expérience indépassable. Il ouvre un espace, une durée, qui n’ont pas d’équivalent, rejouant le sempiternel onirisme sur le fond d’une certaine violence, histoire de voir où cela peut mener. Les musiciens se sont impliqués dans le scénario avec le réalisateur – le Hongrois Nimród Antal, responsable d’une suite à Predator… – et ont cassé la tirelire pour que l’écrin visuel soit à la hauteur.

Évidemment, à sa sortie en salle, le film a fait un four. Ce qui ne saurait l’empêcher pour quelques chanceux d’accéder au statut galvaudé de film culte.

Metallica: Through the Never
Réalisé et scénarisé par Nimród Antal
Avec James Hetfield, Kirk Hammett, Lars Ulrich, Robert Trujillo & Dane DeHaan.


Clément Chevrier

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