Octobre noir : Sleaford Mods, Oranssi Pazuzu, Daughters, Touché Amoré, Untitled with Drums & Deafheaven

Selon certaines croyances païennes d’Europe occidentale et septentrionale, le mois d’octobre annonce la fin de la saison claire et l’avènement de la saison sombre, un temps qui trouve son point d’orgue au moment des fêtes de Samhain, plus connues aujourd’hui pour nous autres modernes comme la fête d’Halloween, un espace de transition et d’ouverture sur l’Autre Monde. C’est là que s’ouvrent des brèches entre le monde des hommes et celui de créatures fabuleuses, il ne fait aucun doute que les concerts auxquels j’ai pu assister en ce début de mois, furent en grande partie l’œuvre d’engeances issues de ces dimensions insondables, comme des prémices aux cérémonies à venir.
Sleaford Mods & The DSM IV à l’Épicerie Moderne de Feyzin
le vendredi 4 octobre 2019

Venus défendre leur nouvel album, Eton Alive, paru en 2019 sur Extreme Eating Record, le duo Post-Punk originaire de Nottingham revient à Feyzin pour nous abreuver de leur désormais célèbre formule : (séquence + laptop) x (mic. + working class hero) = bordel assuré² ! De la première partie je garde un vague souvenir prometteur, une sorte d’ovni Electro-Rock propulsé avec adresse par un quatuor en mode jogging-mulet, à suivre…
Je n’avais pas la tête à ça, c’était un vendredi et je me préparais à passer un long week-end sur Lyon avec deux potes, il était donc plus qu’évident que nous avions mieux à faire au bar pour nous préparer physiquement à la bataille qui s’annonçait. J’étais content de retrouver nos deux lascars au concept minimaliste malgré une appréciation plutôt moyenne de leur dernier opus. Étais-je déjà lassé ? C’est un peu ce que j’étais venu vérifier. Bien placé dans la fosse, prêt à en découdre, la cérémonie débute avec « Into the Payzone », morceau d’introduction de leur nouvel album. Le plaisir ne se fait pas attendre et on se balance de gauche à droite sur le rythme placide mais balancée de la ligne de basse. Jason Williamson est égal à lui même, toujours en grande forme et en pleine maîtrise de son phrasé prolétarien tandis qu’Andrew Fearn se dandine avec nonchalance, bière à la main, derrière un portable posé sur un piédestal en bois. Quoi ?! Un piédestal en bois ?! Mais où sont passé les caisses de bières ?! Assisterait-on à une première compromission ?! La question reste en suspend…

L’anglais Jason Williamson de Sleaford Mods (Rob Hadley ©)

Ça n’empêche pas la foule de commencer à s’enjailler sérieusement sur « Flipside » et « Substraction ». Le rythme s’accélère et la température monte quand arrive « Stick in a Five and Go », sorti en 2018 sur un EP nommé Sleaford Mods. On s’amuse à scander un refrain très lourdement chargé de sens politique, un texte qui traite globalement de la frustration des peuples face aux gouvernements actuels. Sur ce point, ils n’ont rien lâché, et c’est tout à leur honneur. Les titres s’enchaînent rapidement pour maintenir l’énergie de la salle et, une fois passé « Kebab Spider » et le langoureux « Policy Cream », la salle explose littéralement sur les tubes que sont « T.C.R. » et « B.H.S. » ! C’est à ce moment je crois, que j’ai été séparé de mon téléphone alors que la gravité n’avait plus aucune prise sur mon corps ; je m’élevais par-dessus des figures hilares et azimutées dans un pur moment de bonheur partagé. On découvre un nouveau single sorti en août, « Second », doté d’une furieuse ligne de basse, Jason éructe et profère ses paroles toujours ponctuées par cette fameuse gestuelle dont il a le secret. La salle est entrainée dans un furieux tourbillon qui ne cesse de gagner en puissance, soutenu par les irrésistibles « Just Like We Do » et « Jolly Fucker », puis la tension baisse un peu sur les étonnants « Big Burt » et « O.B.C.T. » qui contiennent comme des tentatives mélodiques. Mais la paix est de courte durée quand le duo nous offre leur classique rappel, avec « Jobseeker » et le merveilleux « Tied Up in Nottz », complétés en fin de set par le très dansant « Discourse », tout droit sorti de leur dernier album. La foule les acclame et se presse devant la scène pour partager un « high five » avec un Jason Williamson qui semble véritablement conquis par l’accueil qui leur fût réservé ce soir. L’objectif est rempli, il n’y avait plus à douter de leur efficacité, surtout quand on la mettait en rapport avec le degrés d’hygrométrie de nos tenues vestimentaire… C’est simple, je n’aurais pas mieux fait si j’avais pris une douche, tout habillé…

Ravenous Altar Festival II au CCO de Villeurbanne
le samedi 5 octobre 2019

Dès le lendemain, on se met en route pour le Centre Culturel Œcuménique de Villeurbanne pour participer à la deuxième édition du Ravenous Altar, un festival que l’on pourrait grossièrement estampiller du terme « Black Metal », bien qu’il propose un plateau varié en genre et des plus alléchants. Oui, vous ne rêvez pas, j’ai bien écrit « centre culturel œcuménique » et « festival de Black Metal » dans la même phrase… Mais revenons à nos chevreaux maléfiques. Le coup de force des organisateurs de l’événement (Ytormis Productions et Onde Noires) fût de programmer les immenses Oranssi Pazuzu sur une date européenne unique en 2019, juste avant qu’ils ne décollent pour une tournée nord américaine. Quasi inespéré, certainement immanquable !
La journée commence fort avec les parisiens d’Acedia Mundi et leur Black n’roll ravageur. Une très belle entame qui nous sort des sentiers battus avec une excellente présence scénique ! Ça bondit sur scène, ça court dans tous les sens, ça descend dans la fosse et se fraie un chemin menaçant au travers du public, le bassiste va même jusqu’à se faire transporter à dos de spectateur tout au travers de la salle, lui conférant ainsi une image de cavalier inquiétant et endiablé. Le combo n’a qu’un album à son actif, Speculum Humanae Salvationis, sorti en 2017 et qui mêle chant en français et en anglais ; on est séduit par ce mélange de ténèbres intemporels et d’une certaine rage urbaine qui dénote des influences punk 70’s et Hardcore, une impression augmentée par une magnifique reprise « black » du « I Wanna Be Your Dog » des Stooges en fin de set.
L’aventure se poursuit avec Decline of the I, une seconde formation parisienne dont les trois premiers albums s’axent autour des travaux du neurobiologiste, ethnologue et philosophe français : Henri Laborit. Le projet est porté par Adrastis Korgan, connus entre autre pour sa participation à d’autres ensembles tels que Vorkreist ou Merrimack. Leur style Post-Black aux atmosphères glauques empreintes d’une ferveur sombre et désespérée, s’installe consciencieusement pour atteindre sa pleine force dès le troisième morceau : « Enslaved by Existence ». Le propos est clairement tourné vers un questionnement existentialiste et leur set ponctué de vidéos où s’inscrivent des citations du chercheur français, de samples aux ambiances variées, de chœurs sombres, consacrés et rituels, de voix d’écrivains telles que celle de Louis-Ferdinand Céline, qui sur le titre « Je pense donc je fuis », nous déclame ces vers introduisant son Voyage au bout de la nuit :

Notre vie est un voyage
Dans l’hiver et dans la Nuit,
Nous cherchons notre passage
Dans le Ciel où rien ne luit.

Changement de plateau. On installe sur scène tout un fatras liturgique, bougies, encens… Il ne fait aucun doute qu’on va y célébrer une grande messe noire. Je ne savais rien de ce groupe qui semble mettre un point d’honneur à entretenir un certain mystère, pas un nom, tout juste la provenance des membres : Suisse, France, Belgique… Ritualiste, atmosphérique, on ne manque de pas de penser à Batushka.

Le quintet Ancient Moon (Sylvain Clapot ©)

Les cinq membres d’Ancient Moon apparaissent drapés de toges maculées de sang, des lignes mélodiques hypnotiques, tantôt rapides, tantôt lentes, des compositions atmosphériques, parfois plus classiques, et ce maître de cérémonie dont on ne verra jamais le visage, qui se penche vers nous, mains tendues, pour mieux se saisir de nos âmes. Très honnêtement, on se laisse prendre au jeu avec un certain engouement. Le show s’achève sur une communion occulte orchestrée par la seule voix du chanteur, qui scande des psaumes que j’ai du mal à discerner – ça pouvait faire penser à quelque chose que j’emprunterais à Lucifer’s Child : Invictus, Maximus, Satanas, Lucifer – tandis que ces sbires descendus de scène pour rejoindre le public, se promenaient en plongeant des goupillons dans des bénitiers remplis de sang pour nous en asperger, nous baptiser et ainsi nous offrir à on ne sait quel démiurge ancestral.

Je passe rapidement sur les deux prochains groupes. Ultha, formation allemande de Post-Black, ne démérite pas et loin de là, mais je suis passé à côté de leur set, sûrement par fatigue, il fallait bien marquer une pause car ce genre de plateau nécessite une certaine concentration, une attention particulière qu’il est difficile de tenir pendant des heures. J’avais pourtant été interpellé par leurs récents opus, un album sorti en 2018 sur Century Media Records, The Inextricable Wandering, et un EP parût en 2019 intitulé Belong.
Après m’être aéré un peu, je reviens dans la fosse pour suivre le concert de Lvcifyre, une formation britannique de Black/Death Metal plutôt renommée, mais qui m’avait jusqu’alors échappée. Un bon basique au son très compressé dont la setlist est un mélange équilibré entre un album sorti en 2014, Svn Eater, et un EP lancé en mai dernier, Sacrament. On se plait à accuser des riffs plutôt classiques mais efficaces, qui soutiennent la voix grave et sépulcrale du chanteur. Lvcifyre impose avec férocité son style traditionnel et irascible, une dose de pure puissance ténébreuse. Ça ne badine pas !

Les Finnois d’Oranssi Pazuzu

Vient l’heure du Pazuzu orange, je ressens une certaine fébrilité à l’approche de ce groupe finnois que j’avais découvert au Hellfest en 2018, un live durant lequel j’avais pataugé dans une matière noire poisseuse et dont j’étais sorti totalement conquis. Au fond de moi, cela ne faisait aucun doute, les amis que j’avais convaincus de m’accompagner au Ravenous Altar allaient en prendre pour leur grade. Oranssi Pazuzu tire son nom de l’évocation d’une divinité maléfique mésopotamienne, le Pazuzu, un démon du vent que l’on peut apercevoir en introduction du film L’exorciste, dans une scène qui évoque la lutte à mort entre le bien et le mal. Il n’est cependant pas interdit de penser qu’il y a aussi là une référence à Lovecraft, si l’on considère que ce dernier à été marqué par les découvertes archéologiques qui eurent cours à son époque entre le Tigre et l’Euphrate (Irak), là où se situe la Mésopotamie, pays d’« entre les deux fleuves ». Voilà pour le côté Black. Pour le reste, « oranssi » signifie « orange » en finnois, et cela pour le côté psychédélique de leur musique, c’est du moins ce que je me plais à croire. Loin d’être inactif, le groupe s’était concentré cette année sur un split intitulé Waste Of Space Orchestra avec les non moins célèbres Dark Buddha Rising. C’était donc une chance inouïe de les avoir ce soir. On se délecte des balances tout en décortiquant leur quintet : guitare/chant, guitare, basse/claviers, claviers/percussions et batterie. Le test de pointe sonore augurait d’un succès indéniable et d’un niveau inédit par rapport au reste du plateau. Côté setlist, on peut clairement la rapprocher de l’album live enregistré au Roadburn en 2017, qui fait la part belle au véritablement sublime Värähtelijä, parût en 2016, exception faite du titre d’introduction, « Kevät », parût en 2017 sur un EP éponyme, et le morceau « Vino Verso », sorti sur l’album Valonielu de 2013. Comme prévu, le concert s’emballe dès le second morceau, « Saturaatio », qui signifie simplement « saturation » en finnois. Les rengaines hypnotiques qui caractérisent si bien leur dernier album, projettent littéralement la salle dans un maltrom de démence cathartique. Les plages musicales hallucinatoires sont relevées par la voix de sorcier-squelette de Juho « Jun-His » Vanhanen dans un appel très communicatif à la déraison. Il n’y a qu’à se retourner dans la fosse pour constater, avec un certain plaisir foutraque, que le partage et sans équivoque. Une parfaite symbiose quasi-chamanique s’installe entre le groupe et le public qui se livre sans retenu à cette thérapie sonique. On poursuit avec « Lhaja » et son inconfortable entame qui nous plonge dans un univers souterrain, une cavité profonde d’où nous parviennent les accords d’une musique étrange qu’on croirait jouée par d’indicibles créatures… et toujours cette voix terrifiante qui nous attire et nous sommes de nous rallier à leur folie. La suite est confuse, j’ai dû mal à m’en souvenir aujourd’hui, mais le sentiment est toujours bien présent, ça pourrait être le titre éponyme « Värähtelijä », à moins que ce ne soit « Hypnotisoitu Viharukous ». Je penche plutôt pour ce dernier. Je tente une version hasardeuse grâce à un outil de traduction en ligne bien connu, j’obtiens cela : « Prière de haine hypnotisée ». Ça colle parfaitement, toujours ces lignes mélodiques magnétisantes, ces passages « free », cette alternance de violence et de calme soudain, ces moments de grâce où les instruments semblent leur échapper, ces guitares qu’ils dressent et offre au Pazuzu, ces nappes venues de mondes singuliers, bourrées de bruitages ou de voix de damnés. Pour ma part, je suis persuadé que ces types ont un jour été marqués par l’audition du double album de Pink Floyd, Ummagumma. Pour ce qui concerne la fin du set, cela ne fait aucun doute, il s’agit bien de leur chef-d’œuvre « Vasemman Käden Hierarkia » (17’39’’), où il est question de hiérarchie naturelle, de ceux qui pensent et de ceux qui obéissent, de tours aux sommets inatteignables, d’Illuminati et d’autres suspicions de sorcellerie… Tout un univers occulte et une iconographie que n’aurait pas renié Alejandro Jodorowsky. Le morceau se construit tout autour d’une ligne de basse lancinante qui boucle et reboucle tout du long, des parties de guitares dopées à de reverb et de delay, et toute la démence d’un ordre mondial qu’on manipule fait irruption avec le chant, soutenu par des voix qui semblent adouber ces dires. Puis c’est une montée en puissance inqualifiable, une accélération du rythme juste avant que l’on retombe subitement dans une terra incognita, plus calme mais non moins habitée. Passée cette exploration de landes nauséeuses, la ligne de basse, qui avait disparue, revient timidement avec quelques notes en moins, s’installe dans nos consciences et reparaît de plus bel pour un final engourdissant. C’est ainsi que le groupe nous abandonne sans d’autre sorte de rappel, et n’ayons pas peur des mots, après un cassage de gueule en bonne et due forme.

Daughters & Untitled with Drums à La Coopérative de Mai de Clermont-Fd.
le mardi 8 octobre 2019

La série noire se poursuit à Clermont-Ferrand. La soirée ouvre sur une première partie locale, mais non moins intéressante, avec le post-rock mélodique de Untitled with Drums. En préparation d’un album, après S/T W/D, EP parût en 2017, la salle clermontoise leur offre une place de choix tout à fait cohérente. Je connais mal leurs morceaux, mais je pourrais attester d’un avenir plutôt prometteur pour cette formation en plein développement. Leur son puissant – ça joue fort – appuie vigoureusement une alternance de passages Pop-nébuleux et Noisy. Ils ont des intentions à défendre et s’en sortent très honorablement. La salle de la petite Coopé était plutôt bien remplie ce soir.

L’annonce de la venue des Daughters, formation angoissante de Rhode Island qui avait disparue depuis 8 ans, avait attiré de nombreux fans et curieux. C’est le genre de dates devenues plutôt rares ici pour les amateurs de bizarreries musicales, terme que j’emploie en regard du reste de la programmation, devenue plutôt consensuelle ces dernières années… On existe comme on peu, et les salles de concert n’échappent pas cette règle douteuse. Les ayant vu au printemps dernier sur la scène Altar de Clisson, je m’attendais à une de ces performances sans concession dont ils ont la maîtrise, plus particulièrement celle offerte par leur frontman Alexis S.F. Marshall. Je l’avais déjà dit dans mon report du Hellfest 2019, mais son attitude inquiétante est contrebalancée par une distance artistique indéniable, ce qui est plutôt rassurant. Dans la setlist offerte ce soir, on trouve la quasi intégralité de leur dernier album You Won’t Get What You Want (2018, Ipecac Recordings), et une poignée de titres provenant de leur album éponyme sorti en 2010. Ça commence très fort avec « The Reason They Hate Me », « The Lords Song » et « Satan In The Wait ». Dans le premier titre, la musique met en exergue des paroles plutôt énigmatiques – une histoire où il est question de « fils de pute au quotidien » j’imagine – à l’aide de claviers anxiogènes appuyés par une rythmique sauvage et acharnée. Avec cette même férocité, toujours ces claviers alarmants, le second morceau fait la part belle à une iconographie sacrée faite de trompettes célestes et d’autres canons, d’arcs de la rédemption, de cœurs lourds et de voix divines rendues stériles, de messages qui ne trouve par leur cible, tout un ensemble de paraboles littéraires qui font apparaître en moi l’image d’une icône de pierre pleurant des larmes de sang. Tout ça pour nous mener au troisième titre de cette intense introduction, plus lent, plus lourd de conséquences, et encore cette même inquiétude latente, ponctuée de nappes électroniques aiguisées comme une multitude de petites lames qui viendraient soulever votre épiderme sacrifié.

Jon Syverson & Alexis Marshall de Daughters (Jacqueline Stade ©)

Alexis Marshall ouvre cette danse macabre avec un : « Ce bâtard avait la tête comme une allumette, un visage comme s’il suçait du béton avec une paille ». Doit-on reconnaître ici le seigneur infernal dont il est question dans le titre ? Ou bien projette-t-il sur nous les images torturées d’une réalité déformée ? Très franchement, je ne saurais jamais, mais il en ressort une magnifique matière poétique qu’un Verlaine n’aurait pas renié. On enchaine avec deux morceaux de l’opus de 2010, « The Dead Singer » et « Our Queens (One Is Many, Many Are One) », et on remonte d’un cran dans la brutalité. Le public semble circonspect, dubitatif en apparence ; les musiciens échangent quelques mots et je commence à me dire qu’on n’assistera pas à la performance espérée. La suite me donnera raison puisque le leader de Daughters se contentera du minimum syndical. Dommage. Peut-être était-ce dû à la fatigue liée à la tournée, ou bien à l’ambiance relativement calme si l’on omet les quelques allumés des premiers rangs dont je faisais partie. Il faut dire que ce genre de performance engage tellement le chanteur qu’on ne peut lui en vouloir de n’être pas toujours au même niveau d’intensité. L’échange ne se fit pas. Alexis ne descendra jamais dans la fosse pour nous provoquer avec ces attitudes démentes, comme si le discours était un temps rompu. Qu’à cela ne tienne, ils poursuivent leur set avec entrain et offre malgré tout un bon concert. Un « bon concert », ni plus, ni moins. S’enchaînent alors « Long Road, No Turns », « Less Sex », et son rythme alangui, comme une passion tendre et douloureuse, quelques détours noise-core avec des titres de 2010, « The Hit », « The Virgin », un final particulièrement démentiel avec « Guest House » et « Ocean Song ». Le service minimum donc, ce dont on ne peut malheureusement pas se satisfaire face à une formation qui joue viscères sur table.

Deafheaven, Touché Amoré & The Portrayal Of Guilt à l’Épicerie Moderne
le jeudi 10 octobre 2019

C’est avec cette splendide affiche que s’ouvre le dernier chapitre de cette épopée sonore, à l’aube de la période sombre que nous traverserons jusqu’au temps du renouveau. Je ne vous cacherai pas que ma motivation pour cette affiche était largement inspirée par la perspective de revoir le combo San-Franciscain, dont l’originalité provient de leur capacité à transcender le Black Metal en y ajoutant une forte dominante de Post-Rock, ainsi que certaines caractéristiques du Shoegaze et du Postcore. Pourtant, la soirée me réservait quelques bonnes surprises.
On arrive à temps pour assister au concert de The Portrayal Of Guilt, une jeune formation texane orientée Postcore, voix black, limite screamo parfois, ambiances sinistres et quelques tendances Sludges. Leur maturité est impressionnante, le nom qu’ils se donnent en est un signe probant : « représentation de la culpabilité ». Et ça ne s’arrête pas là puisqu’ils montrent une maîtrise impressionnante de leurs instruments. Avant de me rendre à Feyzin, j’étais tombé sur un live saisissant que vous retrouverez sur la page Youtube d’Audiotree. J’ai assisté à un set qui a largement comblé mes attentes, voire au-delà. Formés en 2017, ils ont déjà 4 EP, 1 album studio et 1 album Live à leur actif. C’est carré et composé avec brio, on espère donc les retrouver rapidement sur les routes européennes.

Les Californiens de Touché Amoré

Vint le tour de Touché Amoré, groupe de post-hardcore basé à Los Angeles et pour lequel je n’avais eu jusque là, à tord, que peu d’intérêt, par méconnaissance bien évidemment. Je m’étais pourtant penché sur le récent épisode de What’s in my Bag consacré à Jeremy Bolm, une émission « utubesque » propulsée par le disquaire californien Amoeba, tout un concept qui consiste à explorer les goûts musicaux de leurs invités. C’était plutôt enrichissant. Je me souviens encore de la réaction de quelques interlocuteurs avec qui je bavardais avant le concert lorsque je leur balançais un truc du genre : « Il y a deux premières parties ce soir, c’est super ! ». C’était plutôt fendard, bien que de très mauvaise foi. De la setlist donc, je ne pourrais vous parler en détails. J’ai pourtant, il me semble, reconnu quelques morceaux qui devaient traîner quelque part au fin fond de mon subconscient, notamment un « Flowers And You » qui aujourd’hui encore résonne dans mon âme comme un hymne éternel. Ce que je retiens surtout, c’est une merveilleuse générosité non feinte, une grandeur d’âme qui se passe de votre avis et vous entraîne malgré vous dans un vortex de béatitude auquel il est difficile de résister. « New Halloween », voilà qui sied à merveille à notre propos, je ne m’étais finalement pas trompé en tentant de concilier ces univers si différents dans un seul et même papier. C’est beau jusqu’au bout, « Deflector », et je ne m’y attendais pas ; la magie opère, et quand un groupe parvient à vous faire tout oublier de la musique, tout ça pour se focaliser sur l’intention, on est sûr que le contrat est rempli. « Skyscraper » et le tour est joué, on danse, on se lâche comme dans une soirée à 4h du matin avec les potes, à cette différence près que l’offre est bien au-dessus de toute la confusion dont on nous abreuve dans les circuits bien entendus. D’une fraîcheur indescriptible. Un grand merci à eux.

Et voilà que notre périple touche à sa fin, reste qu’il faut encore affronter le boss final, les biens nommés Deafheaven. Je les avais quittés presque un an jour pour jour, à la Maroquinerie, moment révélateur durant lequel j’avais pu assister à la transfiguration de l’univers hipstérique pour une forme de liturgie orageuse que jamais je n’aurais osé rapprocher de ce monde en apparence si inflexible. Au moins sur le thème du Black Metal. Je me laisse aller à une digression comparative en stigmatisant les quelques propos que j’ai pu lire sur un report, plutôt faible, de cette soirée. L’auteur des quelques lignes qui m’ont fait bondir assure sans équivoque que Deafheaven n’a rien à voir avec le Black…

George Clarke de Deafheaven

Première très grossière erreur. C’est du Black ! Le fait est que ces malotrus refusent que le genre puisse un jour se transcender. Finalement, il ne pourrait s’agir d’autres choses que de lacunes à combler. Deuxième erreur : « Screamo au niveau du chant ». Merde… On frise l’insulte des deux côtés. Et comme un pied-de-nez à cette mauvaise tribune, le groupe commence son set avec un titre sorti en début d’année : « Black Brick » (7’27). Une ode au genre, et cela sans détours aucun. Exit le Post-Rock, exit le Shoegaze, ne reste que la brutalité féroce du BM dominant, cet art si ambigu, contestable parfois, mais il faut le reconnaître, doté d’une puissance noire et cultuelle que jamais on n’égalera. Bonjour société polissée, des voix se dressent pour vous secouer la couenne. On enchaine avec « Brougth To The Water » (8’37), parût sur New Bermuda en 2015, surement leur album le plus « Metal ». Retentissent de cloches lugubres, blast déclenché sans sommation, riffs agressifs, harangue de George Clarke, on est dans la tradition, et vient ce solo venu de nulle part, californien, ça sent le couché de soleil sur la baie de San Francisco, bien loin des noires forêts montagneuses… Puis c’est le calme, on danse, les gens autour de moi, ceux à qui j’avais vanté les mérites du groupe se dandinent, d’ailleurs on se dandinent tous dans la fosse, et là d’accord, on est bien loin des poncifs et c’est très bien comme ça. « Honeycomb » (11’58), deuxième morceaux de Ordinary Corrupt Human Love (2018), décalage entre la double pédale et la ligne mélodique, vite rattrapé par une montée en puissance grandiloquente, les passages s’enchaînent aussi naturellement qu’ils sont divers, et toujours ces solos qui respire la côte ouest. Une chose indéniable avec Deafheaven, c’est leur capacité à transcender le public. On connaît tous les morceaux, on se prépare à accueillir les différentes parties, un véritable exutoire où l’on alterne entre violence et sérénité, beauté et singularité. « Canary Yellow » (12’17), « Worthless Animal » (9’05), issus du dernier album, s’enchaînent à merveille, on atterri sur une promenade avec quelque chose d’épique pour le second, et la foule toujours danse. On se quitte avec « Dream House » (9’14, 2013, Sunbather), un apothéose d’une rare intensité, jusqu’au-boutiste et sans répit. Il y a réellement quelque chose de spirituel chez Deafheaven.

 

Stachmoo

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