Oranssi Pazuzu, Deafkids, Sturle Dagsland au CCO de Lyon

L’APPEL DE PAZUZU
Deux ans après la sortie de leur dernier album, Mestarin kynsi (L’ongle du maître, 2020, Nuclear Blast), et de nombreux reports dû au contexte contraignant que l’on a connu ces deux dernières années, Oranssi Pazuzu est de retour sur les scènes européennes avec le New Technocracy Tour, pour nous présenter leur dernier opus. Difficile, pour les adorateurs du cauchemar de Tampere, de résister à son puissant appel !

En effet, la mystique cosmique qui émane de leur matière musicale n’est pas à prendre à la légère, et nous y reviendrons. Avec eux sur l’ensemble de la tournée (25 dates), deux groupes nous sont offerts en guise de mise en bouche rituelle. Deux découvertes pour ma part, et la frustration d’avoir raté la première, Sturle Dagsland (Folk expérimentale, Norvège), tant l’originalité créative de la proposition me paraissait prometteuse. Pour s’en faire une idée, il n’y a qu’à jeter un œil à l’incroyable clip vidéo réalisé pour le titre « Kusanagi« . Une véritable dinguerie visuelle et auditive ! Les quelques extraits de concert présents sur leur page Youtube suffisent à accentuer mon sentiment de privation. Si l’occasion se représente, je n’y manquerai pas.
Nous avons fait de la route pour répondre à l’appel, néanmoins, nous sommes en place pour assister au concert de Deafkids (Punk-hypnobeat-noise, Brésil) sur le point de débuter. Le public est nombreux et l’organisation de Sounds Like Hell Productions ne déroge pas à son excellente réputation. Pourtant, après trois ou quatre morceaux, je sors du rail, je perds le fil et ne parviens pas à entrer en phase avec les compositions débridées que le trio (basse+machines / batterie / chant+guitare) s’applique pourtant à rendre sur scène. Je persiste un peu et, tout en reconnaissant la singularité de leur punk-noise halluciné posé sur des rythmes teintées de nuances amazoniennes, je ne parviens pas à m’engager dans le cérémonial.

Alors pour conjurer le sort, j’erre du côté du stand de merch, bave un peu sur quelques modèles de tee-shirt, l’un d’entre-eux retient mon attention, il arbore un serpent et quelques signes occultes indéchiffrables ; on se retrouve, on discute devant la scène désormais vide, puis on assiste avec une oreille distraite aux balances du quintet finnois qui, éminemment sous peu, va se produire, et on convient sans hésitation à un dénouement éclatant.

Les lumières s’éteignent, et la salle abandonnée à son sort se pare d’une ambiance fébrile. L’impatience est à son comble quand réapparaissent Juho « Jun-His » (chant black, guitare) et le reste de la bande : Ontto (basse, trombone) à jardin, Krojak (batterie) en retrait, Juho Vanhanen (guitare, synthétiseurs) et EviL (chant clair, claviers) face à face, à l’autre extrémité de la scène. Le rituel commence. Le premier tiers du concert respecte scrupuleusement l’ordre des titres de l’album, « Ilmestys » (révélation), « Tyhjyyden Sakramentti » (le sacrement du vide) et « Uusi Teknokratia » (nouvelle technocratie). Et pour cause, à chaque album ou concert, le groupe met un point d’honneur à créer une atmosphère particulière, dans le but d’emporter leurs auditeurs vers un imaginaire magique et mystérieux. Sans pour autant être strictement narratif, l’album Mestarin Kynsi repose sur une thématique qui tourne autour d’un personnage Lovecraftien, un maître obscur aux origines indicibles, venu prendre le contrôle de nos esprits dans une dystopie cauchemardesque. L’album débute avec son arrivée, s’achève avec sa mort. Musicalement, c’est sensationnel. Le son est incroyablement immersif, et on navigue à l’intérieur grâce aux lignes de synthétiseurs qui nous ouvrent des portes vers des lieux que la géométrie euclidienne ne saurait décrire. C’est très difficile à dire avec assurance, mais il me semble que la structure des morceaux est parfois différente, et je suppose qu’ils laissent une part importante au jam, à l’improvisation, ce qui ne serait pas étonnant, étant donné leur méthode de composition souvent engagée lors de séance de répétition. C’est très complexe, il m’arrive souvent de me perdre dans le dédale formé par les motifs hypnotiques qui se répètent, les envolées cosmiques et des transitions surprenantes. Quoiqu’il en soit, on se délecte de retrouver enfin sur scène – et on notera qu’il faut savoir en profiter car ils aiment se faire rares – tous les éléments qui font leur succès et originalité, ce sombre metal aux accents psychédéliques affirmés, cet épouvantable groove, ces rythmes déglingués et autres hurlements possédés. Des éléments qu’on retrouve avec plaisir alors qu’ils entament, pour la suite, le titre « Värähtelijä », issu du magnifique album du même nom sorti en 2016. Presque un moment de soulagement, avant de nous renvoyer dans les tréfonds poisseux de Mestarin Kynsi avec le cinquième titre – de l’album et du concert –, « Kuulen Ääniä Maan Alta » (j’entends des voix sous terre). Retour en 2016 avec « Saturaatio », avant de clore cette inquiétante célébration après un rappel mille fois mérité, avec « Oikeamielisten Sali » (salle des justes) et le final suprême de « Taivaan Portti » (la porte du ciel) qui s’ouvre sur une boucle puissante, mêlant Blast beat et mur du son, déchirée de part et d’autre par le chant sépulcral de Juho « Jun-His » qui incarne si bien des personnages non-humains. L’ensemble du show est un récital méphistophélique scandé au rythme de boucles hypnotiques et infernales, dont le seul but est de nous entraîner dans une transe abjecte, une violente catharsis au gré de passages obscurs et dramatiques. Un mot tout de même sur les lumières, très importantes pour créer l’atmosphère souhaitée, basées sur des effets très minimalistes mais d’une efficacité indiscutable. À ce propos, je me souviens avoir été frappé par la mise en scène très ascétique du livestream proposé en plein confinement par le groupe en 2020, simplement construite avec des jeux de lumières abstraits. Régalez-vous.

Ces retrouvailles m’ont ravi bien au-delà de mes espérances, il est rare d’être à ce point conquis artistiquement et spirituellement, c’est un fait qu’il ne faut pas minimiser avec Oranssi Pazuzu, ni même du point de vue de la matière musicale et de leur jeu, un niveau qui dépasse le simple divertissement, on touche là une essence qui fait art. Si vous ne les avez jamais vu, alors comblez ce manque !

Oranssi Pazuzu (Nuclear Blast)
Salle: CCO
Production: Sounds Like Hell
Photos de Frédéric Renaud ©
Vidéo de Laurent Golfier ©

Stachmoo

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