Sleaford Mods, Massicot & Mark Wynn à La Coopérative de Mai

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Efficient as fuck !
Ce Mercredi 24 Mai avait lieu le concert tant attendu de Sleaford Mods à La Coopérative de Mai, date encore inespérée il y a deux ans, alors que la sortie de leur huitième album, Key Markets (2015, Harbinger Sound), les faisait décrocher de l’anonymat populaire. Mais que s’est-il passé entre temps ? Des ventes, des milliers d’écoutes et (enfin !) une attention particulière des médias dominants… C’est dire qu’entre la créativité et l’industrie, il y a un gouffre. Huit albums, putain ! Il leur aura fallu huit albums pour en arriver à un semblant d’écoute… Les fautifs sont connus, un monde professionnel qui se contente de donner à becter ce que le public réclame sans autre échange que la promesse d’un commerce bien huilé. C’est perdant-perdant, et on y est pas pour rien.

Bref, dans un club de La Coopé’ bien rempli, quelques centaines de braves s’étaient donné rendez-vous pour en découdre avec une industrie des musiques actuelles sclérosée par des recettes qui sentent la paresse, aussi risquées qu’une dinde au marron le 25 décembre. C’est Jason Williamson qui le dit (lors d’un entretien avec Télérama à découvrir ici), et le déferlement vindicatif qu’on a pu observer ce soir là, provient bien d’un ras-le-bol sincère qui au bout d’une dizaine d’années finit par porter ses fruits.

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And now… the news

Pour cette tournée 2017, le duo de Nottingham nous offre deux premières parties. Classe. Deux projets radicalement différents sur la forme, mais qui se rejoignent dans l’esprit : sans concession.
Honneur aux dames, la soirée commence avec le trio noise de Massicot, formation genevoise qui développe pépouze des poèmes en letton, des lignes de guitare abrasives et expérimentales sur des rythmes décalées, aux tendances tropicales assumées. L’ensemble est convaincant, largement honorable, et bien que l’auteur de ses lignes peine à vous décrire mieux leurs intentions par ignorance du sujet, il n’empêche qu’on peut saluer bien bas l’inventivité dont elles font preuve. Chaque plan est appliqué pour rendre l’effet désiré, rien ne semble laissé au hasard. Une authenticité que le public clermontois de manquera pas d’applaudir et d’encourager.

C’est l’heure de la deuxième (troisième ?) pinte, changement de plateau, on sort fumer une clope ou bavasser avec les quelques figures familières qu’on a pu apercevoir au loin. Pendant qu’on s’adonne à nos causeries inoffensives, un évènement inattendu se prépare. Mark Flynn fait son entrée sur scène, du moins je le suppose, puisque victime d’une attitude indifférente due aux faiblesses festives qui me caractérisent, je n’ai pu assister au début du set. De la performance devrais-je dire, car c’est ici tout le propos. L’anglais Mark Wynn fait des disques, il fabrique des chansons que je qualifierais bêtement de “Punk”, tant l’esprit qui en découle est absurde, et j’ai toujours considéré ce mouvement des 70’s comme un avatar des esprits dadaïste et surréaliste qui l’ont précédés. Pourtant sur scène, Mark Wynn va au-delà, dépasse le simple principe de “concert” et se donne tout entier à un public médusé voire dubitatif, très embarrassé et décontenancé par le spectacle proposé. Voici la raison qui m’a poussé à rentrer pour supporter le garçon, car alors que je débattais, pour sûr, de quelques banalités, me revenaient en mémoire les vidéos de live que j’avais pu glaner ici ou là. Je ne pouvais donc pas le laisser racheter seul nos péchés, lui qui en se donnant tout entier nous amène à nous questionner sur la notion même de musique populaire. On est en plein dans le débat évoqué en début d’article, et soyons sûrs que ce choix de première partie ne manque pas de conséquence pour la suite de la soirée. Le pire dans tout ça, c’est qu’en tant que bons français, nous étions nombreux à ne paner que la moitié du propos, ajoutant de ce fait un peu plus d’envergure à la croix et la bannière de l’artiste incompris… Ne soyons pas dupes, c’est aussi son outil principal, et on doit le reconnaître quand il lance à la foule incrédule : “On m’a demandé récemment si j’étais payé pour faire ça…”

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Alors que faisait-il me direz-vous ? Tout un tas de choses pour occuper l’espace, et ce n’est pas une mince affaire quand on a décidé de ne jouer en entier aucun de ses propres morceaux, de les interrompre à peine commencé pour danser sur du Bowie, demander au public de le filmer afin qu’il puisse montrer à sa mère de quoi il vit, sortir tout un tas d’objets de son sac à dos, demander de l’argent, changer de fringue, dire des conneries, bref, se donner en spectacle pour amuser la galerie, avec en tête, l’espoir peut-être de faire réagir.

Sleaford Mods, Sleaford Mods, Sleaford Sleaford, Sleaford Mods!

Leur nom résonne enfin dans la petite Coopé’, scandé par une bande de jeunes gens encasquettés qui frémissaient surement d’avance à l’idée de lancer le mouvement dans la salle, “pour faire comme dans le diksss”. Bon… on est loin du Chameleon, le club de Nottingham où se sont rencontrés Jason Williamson et Andrew Fearn en 2009, mais dès les première notes de Army Nights, il n’en a pas fallu beaucoup aux premiers rang pour se lancer dans la baston. Votre serviteur en première ligne, déjà bien entamé, en compagnie d’un ami qu’il fallait retenir de jeter sa petite culotte. Qu’on se le dise, il y avait du fan, et c’est tant mieux car sur scène, on ne s’économise pas.

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C’est d’abord une attitude, simple et efficace. La fiche technique s’en ressent : un micro, une gauche/droite pour le son, des caisses de bières du cru local en guise de support, et des munitions, des “B” comme on dit en langage clermontois, pour Andrew qui se contente de balancer avec nonchalance les pistes audios qu’il a confectionnées, préférant prendre son temps pour regarder le public kiffer sa production tout en remuant généreusement. La mise en scène fonctionne malgré toute cette pureté apparente, et je ne crois pas me tromper en avançant que le choix du tee-shirt d’Andrew en fait partie. Pour Jason c’est une autre paire de manche. Quelle influence ! Il a tout du type qui sait exactement où il va, ardeur, courage et entêtement. Il est clairement possédé par les propos qu’il balance avec une conviction inébranlable. Il doit falloir être rudement motivé pour le faire le bouger d’un iota, et c’est bien cela qu’on admire, le combat d’un chef. On prend un plaisir fou à observer enfin “en vrai”, cette gesture si personnelle, chassant d’un geste prompt on ne sait quoi de l’arrière de son crâne, se tenant main sur les reins, le buste en avant comme pour donner encore plus d’élan à des textes déjà très vindicatifs. Inutile de rappeler qu’il faut être un gauchiste patenté pour apprécier le discours, le réalisme social qui se dégage de chaque titre fait autant plaisir que celui d’un Courbet en son temps. Allez savoir pourquoi je tente cette analogie, mais pour moi, elle fait sens, d’autant plus dans le contexte politique que traverse actuellement notre chère perfide albion.
Les titres s’enchaînent évidemment sur le même rythme et il semble qu’on soit, à peu de choses près, sur la même setlist que les concert précédents. Ce qui me fait dire que le show est bien ficelé. Si ça fonctionne partout de la même façon… Alors, c’est que c’est bien rodé. En somme les trois-quarts d’English Tapas (2017, Rough Trade) et du EP T.C.R (2016), quelques tubes plus anciens comme « Mr. Jolly Fucker », « Routine Dean » et « Jobseeker » suivi de près, en rappel, par « Tied Up in Nottz » (Divide And Exit – 2014) — qu’on traduirait avec délectation par “Attaché quelque part à Nottingham” — et l’excitant « Tweet, Tweet, Tweet » (Divide And Exit – 2014). On pourrait regretter l’absence de morceaux issus de Key Markets, ou encore l’ineffable « Tiswas », on pourrait… Mais à quoi bon, tout est là pour rassasier notre soif de musique anglaise : une diction que la plupart rapprocherait de Johnny Rotten ou encore de Mark E. Smith des The Jam, une combativité exemplaire, des influences musicales caractéristiques de tout ce qu’on aime en provenance d’outre-manche, une once d’exotisme à la sauce british, ce parfait mélange dont eux seuls ont le secret. Et pour étayer mon propos, il n’y a pas mieux que de rappeler le titre de leur dernier album.

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On passe un excellent moment. Déjà gâtés lors de la venue des Thee Oh Sees une semaine auparavant, le délice augmente ce soir d’un degré supérieur. Serait-ce qu’on se sent plus proche ? Peut-être. L’aventure est différente mais il est vrai que l’oraison affichée ce soir semblait résonner en écho dans toute la salle. On s’est plu à gueuler, hilares, les refrains de « Moptop »; plus concernés quand il s’agissait de « B.H.S », l’histoire d’un sombre connard. Les autres morceaux de l’album ne sont pas en reste, tous reposants sur une ligne de basse dont la sonorité et la forme rappellent les poncifs des genres qu’on apprécient, « Snout », « Carlton Touts », « Dull », « Cuddly », tantôt empruntés à la Pop et au Punk, en passant par le Dance-Hall et le Hip Hop, autres couleurs très présentes au Royaume-Uni.

Un moment exceptionnel qui laissera des traces, et outre la gueule de bois et les courbatures du lendemain, on oubliera pas les larges sourires observés sur les faces dégoulinantes de sueur des participants.
La soirée s’est achevée de manières différentes pour les uns et les autres. Pour ma part j’ai joué ma vie au Yams en bonne compagnie, pendant que d’autres sirotaient des bières avec Andrew, très heureux il semble de pouvoir échanger sur différents sujets. Personne ne sait ce que sont devenus les membres de Massicot et Mark Wynn, mais on a la confirmation qu’ils vont bien. Et Jason dans tout ça ? J’ai plaisir à imaginer qu’il est rentré à l’hôtel pour passer sa plus belle robe de chambre en velours pourpre, très anglais, pour laisser tomber la pression en picolant une “B”…

Setlist (supposée):

Army Nights (English Tapas – 2017)
I Can Tell (TCR E.P. – 2016)
Britain Thirst (TCR E.P. – 2016)
Moptop (English Tapas – 2017)
Snout (English Tapas – 2017)
Carlton Touts (English Tapas – 2017)
Dull (English Tapas – 2017)
TCR (TCR E.P. – 2016)
Time Sands (English Tapas – 2017)
Routine Dean (Single – 2014)
Mr. Jolly Fucker (Single – 2013)
Drayton Manored (English Tapas – 2017)
Cuddly (English Tapas – 2017)
B.H.S. (English Tapas – 2017)
Jobseeker (The Mekon – 2007)

Rappel

Tied Up in Nottz (Divide And Exit – 2014)
Tweet, Tweet, Tweet (Divide And Exit – 2014)

Salle: La Coopérative de Mai à Clermont-Ferrand.
Photographies: Yann Cabello ©

 

Stachmoo

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