Troy Von Balthazar « Knights Of Something »

Knights Of Something
L’annonce  d’un nouvel album de Troy Von Balthazar provoque encore chez moi, une émotion, empreinte de nostalgie et d’excitation. Pourtant même si le Monsieur n’a jamais vraiment égalé en solo l’urgence et la force des albums de Chokebore — son groupe avant de voler de ses propres ailes —, il ne m’a jamais laissé indifférent. Son œuvre solitaire  est à plus d’un titre cette petite boutique aux milles trésors : une boutique dans laquelle je fouille et surtout je prends mon temps.

Très vite, une question éternelle remonte à la surface: comme tant d’idoles de mon adolescence, au premier rang duquel nous pourrions aisément cité le toujours jeune Lou Barlow (Sebadoh, Folk Implosion, Dinosaur Jr.), qu’est–ce que qui motive intrinsèquement ces artistes à écrire encore et toujours ces mêmes chansons depuis des années ? Chez Troy Von Balthazar, cette question prend une dimension essentielle, presque vitale. Dans la forme comme dans le fond, le spleen « Von Balthazarien » est une constante. Il définit une écriture neurasthénique et naïve, qui déclenche une énergie dérangeante, une vérité qui donne des frissons. Knights Of Something tourne depuis des semaines sur ma platine : il n’ a pas fini de montrer ses différents visages et n’a surtout pas fini justement de me faire frissonner.
L’album s’ouvre sur un « Surfer » presque trop maniéré dans le chant. A l’époque de Chokebore, cette prédisposition vocale emphatique était une marque de fabrique. En solo, sans la puissance sonique du groupe, ce parti pris est souvent risqué bien que semble-t-il, sincère et sans calcul. La saveur très « lo-fi » de ce premier extrait confirme les intentions toujours aussi minimalistes qui habiteront ce  disque. Troy Von Balthazar a convoqué l’esprit du Granddady de son copain de chambrée Jason Lytle (avec qui, dois-je le rappeler, il est parti en tournée pour célébrer le grand Elliott Smith). Des claviers cheap, des mélodies simples qui se répètent, des guitares presque maladives qui se noient dans l’espace et les effets, un mix bricolé sans être trop approximatif, contribuent à développer un environnement sonore singulier. Le tracklisting défile, une ambiance s’installe mais aucun morceau ne veut sortir pour l’instant du lot. Il faut attendre « New World Lamb » pour être agité dans nos habitudes. L’envie de revenir en arrière est pourtant présente: qu’est ce que nous raconte le chuchotement fantomatique de « Smarter », que souligne ce piano entêtant? Une fois, deux fois, dix fois, l’écoute devient obsessionnelle. Le déclic est là: à trop attendre quelque chose, je finis parfois par rater l’essence même d’un disque, d’un propos. Le tracklisting est parfois un piège auquel il faut savoir échapper pour se libérer d’une contrainte qui est avant tout matérielle. Avec un disque de cette trempe, chacun est libre de construire son propre parcours. Ce disque ne paye pas de mine au premier abord. Il entoure, enveloppe, saisit, attrape lorsque je me rends disponible. Et alors, tout est à recommencer : retour à la case départ. Mon écoute est différente. Un instant de vérité aussi troublant que « Touch is Meat » se transforme en un voyage à la fois tendre et dangereux à la frontière de la dépression et de la création cathartique .
« My Black Prize » commence toujours avec son tempo de pacotille à l’image d’un enregistrement que n’aurait pas renié le « Sentridoh » de la référence Barlow. Mais il se passe des choses. Par moments, la fusée décolle et me transporte dans la stratosphère. Par chance, « Manic High » me permet de redescendre sur un nuage de coton avec son humeur légère et ses gimmicks en forme de comptines. L’album se clôt sur les percussions psychédéliques de « Lemon Seed », morceau presque évident dès les premières notes mais se révélant être le plus mystérieux d’entre tous. Ce n’est pas le clip très « vague » de l’ami Troy qui nous dira le contraire.

Knights Of Something est un objet à la fois simple et complexe, une œuvre profondément humaine, intemporelle et imparfaite, à contre-courant d’un énième produit marketing, facilement étiquetable. Devant de telles intentions, difficile en effet de verser dans les réflexes quotidiens qui animent mon écriture: parfois un disque comme Knights Of Something dénote au milieu des autres, m’incitant à dépasser le simple cadre de la démonstration narcissique de ma culture musicale. Mais Troy Von Balthazar, c’est désormais une certitude, quoi que tu fasses, tu ne me laisseras jamais indifférent.

Troy Von Balthazar Knights Of Something Vicious Circle
Site web de Troy Von Balthazar et de Vicious Circle Records.

TRACKLIST:

Surfer
Thugs
We Need You
Smarter
Astrid
Empire Of My Hate
New World Lamb
Touch Is Meat
Curses!
Smile
My Black Prize
Manic High
Lemon Seed



Également en écoute sur Spotify par ici.





Laurent Thore