Coriky « Coriky »

Certes, agglomérer Amy Farina, Joe Lally et Ian MacKaye ne vaut pas brevet d’excellence, mais t’admettras quand même que ça mérite de s’y attarder. Les trois ont tant donné par le passé. Là, c’est la douche chaude, le trio produit un des tous meilleurs albums pop de 2020, un disque majeur et influent, tu verras ce que je te dis.

Deux ex-Fugazi accompagnés d’une ex-Ted Leo & The Pharmacists, on ne doit pas être bien loin de la définition du super groupe. D’autant qu’ils ont enregistré comme de coutume au Inner Ear Studios avec Don Zientara. Jason Farrell a mis la main à la pochette et Bob Weston (Shellac) s’est chargé de monter la version vinyle. Bref, tu vois le topo, on prend les mêmes et on recommence. On se croirait revenu 30 ans en arrière. Ouais, hé ben n’empêche que ça marche encore du feu de dieu cette combinaison. Les trois chantent, ça permet de diversifier les tonalités. Dans l’ensemble, l’association des trois permet de s’aventurer sur des sentiers aux forts accents pop avec des attaches au son si particulier de Washington D.C. et du label Dischord plus précisément. Les protagonistes en présence étant parmi les inventeurs de cette signature sonore. Bien évidemment, des accents Fugazi parcourent le disque, comment pourrait-il en être autrement avec Lally et MacKaye à la section cordes ? La somptueuse “Clean Kill”, un tube, amorce façon Fugazi avec une mélodie vocale d’une étourdissante légèreté dans un registre soul. Quand la guitare s’énerve et que le ton monte, on retombe dans des schémas plus convenus. L’essentiel de la chanson se tient dans la voix et la manière de faire éclore les harmoniques avec peu de moyens, en suscitant simplement l’imagination. Si le courant “emo pop” prend ses racines chez tout ce qu’ont produit Lally et MacKaye par le passé, le terme leur revient de droit, et plus que jamais. “Clean Kill” va faire des émules avec son texte énigmatique d’une militaire ou une tueuse, difficile à dire, qui s’interroge après sa garde qui semble avoir été mouvementée. “Hard To Explain” pourrait être une reprise des Who par Fugazi, break mis à part. Coriky, un groupe mod ? “Say Yes” renoue avec une construction alambiquée, alors que les voix chorales se fondent dans un registre soul. À se demander comment Amy Farina réussit à tenir un chant lead aussi fluide pour un texte tourmenté tout en jouant ce tempo saccadé à la batterie. Si “Have a Cup of Tea” est dans un registre similaire à “Clean Kill”, on est surpris par son ambiance et son chant de compétence proches de la dream pop. Encore un grand morceau de ce très bel album, une chanson au texte à tiroirs dont il est difficile d’en ouvrir un sans se coincer les doigts en le refermant. Les paroles associées à la musique constituent une alcôve qui invite l’auditeur à prendre du recul et une tasse de thé (oui, je suis titulaire d’un Master en zeugmas appliqués). La construction de “Too Many Husbands” chanté par Amy Farina est un peu plus classique même si je suis encore épaté par son jeu de batterie qui semble complètement désolidariser du chant. Il y a une bien jolie phrase dans cette chanson qui pourrait donner le nom à un groupe : “Teeny tiny mind undone”. Avec “BQM” qui clôt la face A, Coriky propose un morceau tendu très emo punk millésimé Dischord pour un texte à plusieurs entrées et d’une étonnante complexité qui mériterait une dissection à vif pour mettre au clair ce qui grouille dans ce ventre plein d’algorithmes.

Voilà pour la première face. Tu ne penses tout de même pas que je vais te mâcher tout le boulot et disséquer le verso du vinyle de la même façon, je te laisse le privilège de t’en charger toi-même. L’exigence et la qualité sont les mêmes, décidément, cet album est une merveille de bout en bout.

Coriky Coriky Dischord

Face A

Clean Kill
Hard To Explain
Say Yes
Have A Cup of Tea
Too Many Husbands
BQM

Face B

Last Thing
Jack Says
Shedileebop
Inauguration Day
Woulda Coulda



Patrick Foulhoux

Ancien directeur artistique de Spliff Records, Pyromane Records, activiste notoire, fauteur de troubles patenté, journaliste rock au sang chaud, spécialisé dans les styles réputés “hors normes” pour de nombreux magazines (Rolling Stone, Punk Rawk, Violence, Dig It, Kérosène, Abus Dangereux, Rock Sound…), Patrick Foulhoux est un drôle de zèbre.

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