Didier Balducci « Le rock ‘n’ roll est mort mais son cadavre encombre le monde »

Un nouveau livre de Didier Balducci est toujours un événement. Cette fois, fini la rigolade. Le thème abordé est sérieux. L’auteur s’adresse à tous les fans de rock’n’roll dans leur intégralité et pas uniquement à ses fidèles lecteurs. À l’occasion de cet essai, Didier Balducci laisse un peu de côté son humour légendaire pour évoquer de façon solennelle un sujet qui lui est cher puisqu’il a bâti sa vie et son œuvre en fonction de lui : le rock’n’roll, et, en l’occurrence, il évoque plus particulièrement la mort du rock’n’roll, façon Balducci cela va sans dire, ce qui fait toute la différence.

Ce livre va forcément faire polémique. Il prête le flanc à la critique, surtout par ceux qui ne le liront pas, mais qui ne manqueront pas de cliquer sur « j’aime pas » à la seule vision de la couverture. Un ouvrage testamentaire qui, espérons-le, ne sera pas le dernier. C’est à craindre vu le ton employé cette fois par l’auteur niçois. Un ton différent de d’habitude même s’il conserve un peu de son humour proverbial, inoculé, là, à dose homéopathique. Ses fidèles lectrices et ses fidèles lecteurs réussiront à le démasquer au détour de formules ou de tournures habilement amenées et toujours bien placées. Il traite d’un sujet existentiel avec lequel Didier Balducci ne plaisante pas. « Le rock est mort » annonce-t-il de façon péremptoire et irrévocable. Annoncé ainsi, on voit poindre le « c’était mieux avant » en gros sabots, alors que ce n’est pas tout à fait ça. C’est beaucoup plus subtil. On en n’attendait pas moins de la part de Didier Balducci qui livre là son ouvrage le plus abouti, celui pour lequel – et on le sent – il s’est saigné aux quatre veines. Le livre est partagé en trois. Première partie, l’avis de décès du rock’n’roll : « Son moment dans l’histoire est passé, et il s’éloigne chaque jour un peu plus de nous. Ce moment, on pourrait le borner en gros au milieu des années cinquante et quatre-vingt. Certains le feraient démarrer un peu plus tôt, d’autres le termineraient légèrement plus tard, mais tout le monde est peu ou prou d’accord là-dessus. Ses beaux jours sont loin, son futur est derrière lui, son époque est révolue, il n’est plus nécessaire. Et dès lors qu’on n’est plus nécessaire, on est très vite dispensable, puis superflu, puis inutile. Et donc insignifiant, caduc, obsolète voire ringard. » Après l’entrée, le plat de résistance qui court sur cent soixante sept pages durant lesquelles l’auteur déroule son autobiographie et surtout, toute la partie de son existence consacrée à sa découverte du rock ’n’ roll sous forme d’étude sociologique et tout ça, en une seule et unique phrase. Pas un seul point ne vient interrompre le propos sur les cent soixante sept pages que dure le chapitre, même pas à la toute fin ponctuée par des points de suspension, comme s’il y avait encore du câble à dérouler. Cet exercice de style est périlleux et Didier Balducci qui s’est inspiré de quelques-uns de ses auteurs préférés s’en tire remarquablement bien, on ne s’ennuie jamais. C’est construit de telle façon que le lecteur peut s’aménager des pauses durant la lecture sans casser le rythme. Jolie réussite. Tout au long de la phrase, l’auteur évoque ses coups de cœur, ses découvertes, ses passions, son obsession pour les cheveux, tout ce qui l’a forgé musicalement, des Stooges aux Suicide en passant par le Velvet Underground, les Seeds ou les Troggs et tant d’autres dont il parle avec les yeux qui pétillent. Dans la troisième partie, il reprend l’oraison funèbre et finit de tordre le bras du lecteur pour le convaincre. On n’est pas obligé de partager son avis – bien tranché et délibérément subjectif, cela va de soit – dans son ensemble, mais on doit admettre que sa thèse est solidement argumentée et imparable. On est sûrement là, en présence de l’un des plaidoyers les plus intelligents jamais écrits sur le sujet, un des mieux analysés. Le paradoxe, c’est que Didier Balducci rappelle que le rock est probablement mort avant que lui-même ne l’exerce avec les Dum Dum Boys (toujours actifs, même si ce n’est qu’en dilettante depuis presque quarante ans). Si on se risquait à interpréter sa pensée, on soutiendrait qu’il défend la thèse que le rock n’est plus qu’une réinterprétation de schémas anciens, et qu’il n’y a vraiment rien de nouveau dans la discipline depuis quarante ans. On pourrait rajouter qu’on est dans le même schéma que celui de la musique dite « classique ». Quels noms retient-on en classique ? Chopin, BachSchubert, Debussy… Mais citez-moi des nouveaux noms… Certes, ce n’est pas trop notre champ de compétence non plus. Tout doucement, le rock’n’roll prend ce chemin. On jouera toujours Iggy Pop au piano dans deux cents ans. L’auteur s’adresse aux réfractaires, à tous ceux qui ne manqueront pas de lui tomber sur le râble : « Et ces fidèles entre les fidèles, ce dernier carré de partisans de la messe en latin et du garage éternel, ceux-là diront que c’est moi qui suis mort et pas le rock’n’roll. Ils se trompent. La preuve, je suis en train d’écrire ceci alors que le rock’n’roll, lui, n’a plus rien écrit depuis longtemps, plus une seule nouvelle page de son histoire, pas même une petite ligne… » Peut-on lui donner tort ? Il y a toujours de bons artistes, de bons disques, mais la question est de savoir ce qu’ils apportent de nouveau ? Demande-t-on au rock d’apporter du neuf me demanderez-vous ? Selon moi, le dernier groupe à avoir apporté du sang neuf au rock, c’est The Clash. Depuis, plus rien. Nirvana, la dernière grosse sensation dans la discipline, n’a fait que recycler de vieilles recettes. Cela dit, The Clash aussi, mais lui les a croisées, les a mélangées, les a passées au mixer. Si le marché de la réédition fonctionne si bien au détriment de la nouveauté, c’est qu’il y a une raison. Le dernier truc original apparu dans le rock, c’est sûrement dans l’électro qu’il faut aller le chercher, mais ça, personnellement, je m’en cogne, ça ne me concerne pas. Didier Balducci, qui reste un des guitaristes les plus originaux que nous ayons en France puisqu’il a mis au point une technique de jeu basée sur une absence totale de technique justement, rappelle quelques fondamentaux souvent oubliés : « De toute façon, l’objectif dans le rock’n’roll n’a jamais été de réussir mais de rater. Elvis voulait juste chanter du rhythm’n’blues comme un Noir, il a raté son but. Les Stones voulaient juste faire du blues à la Slim Harpo, ils ont raté. Iggy voulait juste être Mick Jagger avec le pantalon de Jim Morrison, il a raté. Ron Asheton s’est acheté une wah-wah et une fuzz en espérant imiter Jimi Hendrix, c’était complètement raté. » Une fois encore, Didier Balducci ne fait pas dans la facilité ni dans la demi-mesure – il ne fait jamais dans la demi-mesure de toute façon, que ce soit en écrivant ou lacérant une guitare –, il aime se mettre en danger, quoi qu’il entreprenne, en musique ou par écrit, mais là, il cherche le bâton pour se faire battre et seul(e)s les nigaud(e)s tomberont dans le piège habilement tendu. J’oserais dire que sa pensée est plus « complexe » qu’il n’y parait si la formule n’avait pas été salement amochée par un méchant monsieur dont je ne peux prononcer le nom au risque d’avoir les gencives qui saignent. À la tête des Éditions Mono-Tone, branche littéraire de la firme Mono-Tone RecordsDidier Balducci n’a pas opté pour la facilité pour diffuser ses ouvrages. Il se charge lui-même de distribuer ses livres. Il est trop tard pour qu’un « gros » éditeur prenne le relais de celui-là, pour autant, on ne saurait trop lui recommander de rejoindre un groupe éditorial comme Actes Sud par exemple pour bénéficier de sa diffusion, les Éditions Mono-Tone ont désormais un catalogue suffisamment solide pour prétendre accéder aux librairies par l’entremise d’un diffuseur, et plus uniquement chez les disquaires et les libraires spécifiquement rock. Le rock est mort mérite d’être lu par le plus grand nombre, car ce livre est un des plus intelligents qu’il n’ait jamais été écrit sur le sujet. Plus qu’un livre, un bréviaire à lire impérativement.

Didier Balducci Le rock’n’roll est mort mais son cadavre encombre le monde Mono-Tone Éditions
(281 p., 14 € + port)


Patrick Foulhoux

Ancien directeur artistique de Spliff Records, Pyromane Records, activiste notoire, fauteur de troubles patenté, journaliste rock au sang chaud, spécialisé dans les styles réputés “hors normes” pour de nombreux magazines (Rolling Stone, Punk Rawk, Violence, Dig It, Kérosène, Abus Dangereux, Rock Sound…), Patrick Foulhoux est un drôle de zèbre.

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