Elysian Fields « Transcience of Life »

Le duo new-yorkais Elysian Fields affiche sur son nouveau long format, une maîtrise absolument totale de sa propre musique, une sorte de plénitude, qui donne à ce disque une tonalité très particulière. D’une certaine manière, il est le plus apaisé de sa discographie, bien que marqué par une intense mélancolie, où seule la musique semble permettre à Jennifer Charles et Oren Bloedow de ne pas sombrer dans le renoncement, le chagrin et la dépression.

Si Pink Air (2018, Microcultures), l’album précédent, révélait une certaine colère, perceptible dès les premières secondes, dans la tension intrinsèque de la guitare de son morceau inaugural, « Storm Cellar », Transcience of Life affiche aussi bien dans le son que dans les textes, un autre état de conscience, face à l’évolution du monde, mais aussi face à l’éternel sujet du sentiment amoureux. En effet, chez Elysian Fields, l’amour est bien plus souvent le chemin du doute, de la souffrance, alors qu’il pourrait n’être qu’une évidente réponse, un fabuleux refuge, une indicible motivation face à l’hérésie, la déraison, l’injustice du monde moderne. Mais voilà, le romantisme d’Elysian Fields, n’a rien d’un conte de fée. Ainsi à la frontalité relative de Pink Air, Jennifer Charles et Oren Bloedow opposent un chemin poétique et philosophique, parfois proche du conte (et d’ailleurs basé sur une réappropriation du « Rêve de la Chambre Rouge », un monument de la littérature chinoise en forme de nouvelle, publié au 18ème siècle), comme la manifestation lucide, humaine et raisonnée d’une mise à distance par rapport au réel, qui est d’ailleurs par essence le propre de l’acte artistique.
Ce chemin se construit ainsi en toute cohérence, dans une voie musicale sinueuse et recherchée, contemplative sur « Vain Longing », « Spurned by the World », tout en retenue et en sobriété sur l’emblématique « Transcience of Life », « An Outsider Underserving of Love », voyageuse et transcendantale, sur « Union of Enemies », minimale et à fleur de peau (« Indifference of Heaven », « The Birds Scatter to the Wood »). Ce final joue d’ailleurs sur un étonnant contraste entre une forme de nihilisme sensible et sincère et une lumière toujours présente quelque part, dans le moindre accord, la moindre note de piano, la moindre respiration, la moindre intonation vocale, le moindre arpège, le moindre slide de guitare… Le cœur de cet album se laisse néanmoins déborder par le côté tempétueux et rock d’Elysian Fields, à travers la mécanique post-punk de l’intense « Sorrow Amidst Joy » ou les vagues électriques successives de l’héroïque « A Life Misspent ». Ainsi se dessine une narration, pouvant être rapprochée du mythe de Roméo et Juliette, prenant forme à travers un art de la mise en scène captivant. Le pouvoir de suggestion de l’ensemble est absolument fascinant et juste, il ne s’épuise absolument pas écoute après écoute. La puissance (au sens émotionnel du terme) des mots et de la musique est presque magique. Vous l’aurez compris, très loin de l’univers multimédia et globalisé de la musique actuelle, les images se construisent ici mentalement, soutenues par cette propension exceptionnelle du groupe à composer avec toutes les nuances des sentiments et de la vie.
Comme à leur (excellente) habitude, Jennifer Charles et Oren Bloedow sont entourés d’une formation resserrée, composée de musiciens et musiciennes aussi fins que talentueux. Comme Sam Lévin à la batterie (déjà présent sur l’album Last Night on Earth en 2011), le claviériste Thomas Bartlett, avec une carte de visite qui atteste d’un savoir faire et d’un feeling remarquables (The National, Antony And The JohnsonsSufjan Stevens, St. Vincent…), la violoniste Dana Lyn, la jeune chanteuse, Ella Hunt aux chœurs, mais aussi Gamin Kang, un artiste new-yorkais, instrumentiste de renom spécialisé dans l’utilisation innovante et moderne d’instruments traditionnels coréens comme le Piri. Soit autant de personnalités différentes et complémentaires, qui ont marqué de leurs empreintes, cette œuvre inspirée et inspirante.

A la fois surprenant et cohérent, ce nouvel opus d’Elysian Fields est à l’image de ces créateurs. Il se distingue aisément de la création actuelle, à travers une liberté d’être et de créer absolument passionnante, qui pourrait malheureusement échapper à un certain succès populaire de par sa singularité, malgré sa richesse et sa sincérité.

Elysian Fields Transcience of Life Microcultures

Face A

Prologue To A Dream Of Red Mansions
Transience Of Life
Vain Longing
Spurned By The World
Separation From Dear Ones

Face B

An Outsider Undeserving Of Love
Sorrow Amidst Joy
Union Of Enemies
Indifference Of Heaven
The Birds Scatter To The Wood

Album disponible sur Apple Music, Bandcamp, Deezer, Qobuz, Spotify & Tidal,
mais aussi et surtout, chez tous les bons disquaires indé’ !



Laurent Thore

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