La musicienne Emily Jane White a peut-être toujours été victime d’un malentendu, notamment en France dans la lecture de sa musique. Trop souvent comparée à tort et encore maintenant à l’unique PJ Harvey, l’Américaine s’illustre cette année avec les morceaux conscients et incarnés de son somptueux Immanent Fire, marqué par des partis-pris instrumentaux inédits, presque gothiques. Ce LP impose ainsi définitivement Emily Jane White, comme une des grandes figures de la musique américaine contemporaine, en même temps qu’il confirme la grande réflexion humaniste qui habite cette artiste touchante et inspirée.
Si l’arrivée de Polly Jean Harvey sur la scène Rock en 1991, a fait l’effet d’une déflagration sans précédent, elle aura aussi entrainé par la suite, des réflexes journalistiques conditionnés, voyant de manière systématique la moindre musicienne femme, s’illustrant frontalement à la guitare et au chant, comme autant de suiveuses de l’anglaise. Pourtant, dès son premier album, le troublant Dark Undercoat (2007, Negative Records/2008, Talitres), Emily Jane White a démontré une intention foncièrement Folk à l’élégance remarquable, et pour le moins éloigné de la chaleur incandescente, sexuelle et sauvage de P.J.H, même si de sources sûres, elle aurait commencé comme la géniale Feist par exemple, dans d’obscurs groupes de Punk à la fac (NDLR notamment le groupe The Veynz). Sur son album précédent, le splendide They Moved In Shadow All Together (2016, Talitres), la californienne avait trouvé auprès de Shawn Alpay et Nick Ott, une complicité fusionnelle et organique décisive, permettant à sa propre musique de s’envoler vers un ailleurs mélancolique et onirique encore jamais atteint. A travers sa communication, sur les réseaux sociaux, notamment pendant la campagne présidentielle précédent l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, elle avait signifié des positions politiques fortes, et affiché sa proximité avec les idées et les valeurs du sénateur démocrate Bernie Sanders. Si de notre point de vue nombriliste et très franchouillard, nous pensons à tort que les américains n’ont qu’une conscience politique très limitée, des artistes et notamment des femmes comme Emily Jane White, Laura Veirs, Victoria Ruiz (à la tête des Downtown Boys) démontrent par leurs discours et leurs œuvres respectives exactement le contraire. Sur son avant-dernier album, à travers la puissance et la finesse des arrangements, elle dénonçait le sexisme ambiant de la société américaine, et même l’épidémie (selon ses propres mots) que peut représenter les violences faites aux femmes sur le subtil « Woman Kind », mais aussi à travers le mélange de douceur et d’intensité vocale de « Black Dove », le racisme rémanent de son propre pays, amenant les terribles exactions policières meurtrières ayant entrainé les morts emblématiques de Walter Scott, Tamir Rice, Freddie Gray… (liste non exhaustive).
Poursuivant cette quête mêlant avec grâce et intelligence, expressions intimes et personnelles, sensibilité militante et recherche esthétique, sur son nouveau long format, EJW atteint des sommets de justesse avec des titres aussi forts que « Surrender » ou « Washed Away » où elle rivalise sans problème avec des références comme Alela Diane, Shara Worden, Suzanne Vega ou encore la défunte Lhasa De Sela. Même quand l’instrumentation frise le pompeux sur « Drowed », EJW sublime l’ensemble par sa présence rassurante et son chant totalement maîtrisé sans excès ni surenchère. Si le côté sombre de son univers a toujours été une constante, sa collaboration avec le producteur/arrangeur Anton Patzner sur ce disque, installe une tonalité presque gothique (symbole de l’incertitude de notre époque ?), n’étant pas sans rappeler les premiers pas de Natasha Khan de Bat For Lashes, notamment sur les morceaux « Infernal » et « Metamorphosis ». L’urgence climatique et écologique qui agite le monde a ainsi certainement influencé cette noirceur pré-apocalyptique qui imprègne ce long format, sans pour autant sombrer dans le nihilisme et le désespoir. Sur « Light » EJW s’engouffre même sur le chemin d’un désenchantement sonore troublant, qu’elle pourrait partager avec une autre grande dame de musique indépendante, Shannon Wright. A travers une mise en scène particulièrement évocatrice, qui pourrait en envoyer plus d’un dans le ravin, Emily Jane White termine avec audace, son sixième album, sur une métaphore mystique subtilement incarnée, via l’évanescent « The Gates at The End » dont le double sens nous invite tout simplement à réfléchir à notre propre condition, et surtout à notre rapport aux éléments et à la nature.
Emily Jane White Immanent Fire Talitres
TRACKLIST :
Side A
Surrender
Drowned
Infernal
Washed Away
Metamorphosis
Side B
Dew
Shroud
Entity
Light
The Gates At The End
Album également dispo’ sur Apple Music, Bandcamp, Qobuz & Spotify,
ainsi que chez tous les bons disquaires indé’ !
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