Une fois n’est pas coutume, le One-O-One, temple de la musique électronique clermontoise, ouvrait un lundi, bien plus tôt que le réveil de ces habituels et fidèles clubbers. Les lieux ont connu bien des histoires et des aventures, et ce n’est un secret pour personne, de grandes heures du rock indépendant ont été écrites içi par des artistes dont la simple évocation provoque encore maints et maints débats, au très rock’n’roll comptoir du Bikini. Qu’Intérieur Cuir ait choisi ce lieu pour accueillir le grand Matt Elliott (grand par la taille, le talent et l’aura alternative) n’a rien de surprenant. Les relents sado-maso qu’évoquent en suspens cette allusion à la matière, trouvent un écho particulier dans cette cave, aux mille plaisirs punk et à la froideur cold wave, qui n’a pourtant rien d’un Back-room.
Intérieur Cuir programme des concerts différents, exigeants et surtout de qualité comme ce soir, avec la venue de Matt Elliott dans une incarnation folk, contrepoint intime et acoustique à son définitif Third Eye Fondation.
Lundi, comme toujours, ce sont les meilleurs qui sont là. Qui plus est, il se trame un truc ce soir-là, comme un fait exprès au Bombshell. Le week-end est encore présent sur les visages et a laissé des traces.
Pour réveiller cette audience, qui a dû roupiller toute la journée, sur son clavier. L’Enfant Sauvage (c’est lui qui le dit) piétine. Seul, et échappé des sautillants Brabalan l’enfant, qui a quand même bien grandi, s’agite comme un adolescent en pleine crise (d’adolescence) sur son post-punk/math-rock. Une belle énergie se dégage mais la partie n’est pas simple : dur de commencer devant un public encore parsemé et un peu indiscipliné. Le bougre ne se démonte pas et poursuit son bonhomme de chemin. L’ensemble manque parfois un peu de maîtrise et de nuance. T’as déjà joué au One-O-One, toi ? j’aimerais t’y voir ?
Le son est en effet particulier, fuyant et métallique. L’ami Laurent Saussol, homme de l’ombre et technicien qu’on ne présente plus, a pourtant transformé l’espace sonore avec ses petits doigts de sorcier et son oreille experte. Le Dj quand il mixe, il est dans la cabine, pas sur la piste, où justement jouent les groupes ce soir, comprendo ?
En quelques minutes, le trio composé pour l’occasion pour jouer les morceaux du projet Pray For The Soul Of Francis Charles (désormais renommé Francis) est opérationnel, prêt à en découdre. Bâti autour du très actif Thomas Dantil et du musicien américain Joe Goldring (le monsieur derrière le groupe de slowcore Enablers), rejoint par le fiston Sean Goldring himself. Le groupe a de la gueule, et dès les premières frappes sèches de la batterie de l’imposant Joe, l’intensité monte d’un cran. Ce batteur est tout simplement subjuguant, doté d’une présence magnétique, porté par une intention rare dans la musique moderne. Difficile d’exister à côté d’un tel « monument » : l’ami Dantil s’en sort avec les honneurs, en se concentrant uniquement sur la partie guitare. Le propos est bien plus brut que celui du disque. La teneur presque pop apportée par le chant sur le disque, disparaît au profit d’un énergie clinique très enveloppante. Par moments, le groupe évoque un Battles resserré, s’éloignant des saveurs post-hardcore façon Quicksand ou de la pop épileptique façon Poster Children ressenties sur le seul et unique album à ce jour du groupe. Une intensité rare et sincère se dégage du concert. L’absence de véritable chant était peut-être la seule limite de cette formule en trio. Avec un peu plus de vécu, ces acolytes d’un jour pourraient faire des merveilles. L’essentiel était déjà là, porté par une complicité respectueuse entre musiciens.
A peine le temps de pousser la batterie dans les loges, que Matt Elliott se présente, dans une configuration sobre et minimale, autour d’une guitare classique, d’un looper, d’un octaver et d’une flûte,
et de 2 micros chant. Depuis quelques années, ce musicien aussi atypique qu’insaisissable développe une musique aride, un folk puissant et bluesy, qui n’a rien je vous assure de « hipster ». Très rapidement, Matt Elliott captive l’attention. Il dégage une force, une vibration, une vérité finalement peu commune en ce bas monde. Il n’y a rien d’exceptionnel ou de phénoménal dans ses interprétations, mais le temps reste suspendu.
De vieilles légendes du Nord surgissent au gré des accords et se mélangent à des histoires de marins solitaires. Son jeu de guitare est précis, agile. Il navigue entre arpèges délicats et gestuelle flamenco façon rumba catalane. L’humeur vire parfois au blues, les lignes mélodiques se superposent, s’amplifient avec simplicité.
Comme le captera avec justesse notre complice du soir, Yann Cabello, Matt Elliott s’implique avec force, dans ce folk qui le traverse, qui l’habite. Il semble bien loin le temps où il triturait des machines et concassait des rythmes étouffés, entre drum and bass atmosphèrique et ambient claustrophobique. Le monsieur conserve et entretient cette science du son et de l’acoustique : il n’y a qu’à voir comment les notes envahissent l’espace, comment chaque élément complète et construit à son tour un ensemble et une cohérence pour comprendre que le timide Matt maitrise son sujet. Il se permettra même deux reprises au sens standard du terme : une lecture économe et décharnée de « I Put a Spell On You« et, en guise de rappel, un clin d’œil façon mille feuilles du « Miserlou » de Dick Dale.
Pour une de ces premières dates, Intérieur Cuir a réussi son pari audacieux et passionné, sans forcément remplir la caisse, mais en convoquant l’esprit d’un lieu qui entretient sa légende.
Salle: One O One.
Photos par Yann Cabello ©
(Excepté celle de Francis, par Fabien Cimetière).
Site Web de Matt Elliott et de Francis.
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