foxcatcher, chef d’œuvre raté?

foxcatcher

Foxcatcher dure très exactement 2h09. Je le sais car j’ai senti passer chaque seconde de ce film soporifique que j’attendais pourtant avec grande impatience depuis son prix de la mise en scène au dernier Festival de Cannes.

Les choses avaient pourtant bien commencé. Tout d’abord, un fait divers bien glauque : à la fin des années 80, un milliardaire mégalomane et légèrement psychotique, prend sous son aile deux frères, champions de lutte, pour les préparer aux JO de Séoul. Résultat : pas de médaille, mais un mort.
Ensuite, Bennett Miller aux manettes. Avec le maîtrisé Truman Capote (2006) et l’éclatant Stratège (2011), le réalisateur nous avait prouvé qu’il n’avait pas son pareil pour tailler un portrait sans fard de l’Amérique et faire semblant d’évoquer un sujet, tout en en traitant un autre.
Ici, on ne parle effectivement pas vraiment de sport. Par contre on parle bien de lutte : celle des personnages contre eux­-mêmes et contre l’ascendant qu’ils peuvent avoir les uns sur les autres. Rapports de force et manipulation : tout ce qu’on aime voir au cinéma, surtout quand l’emballage est aussi clinquant.
Optant pour un style glacial, rêche et épuré, Miller enchaîne les plans sublimes et les trouvailles de mise en scène. Le contenu est riche, mais le contenant est étincelant. Enfin, trois acteurs en pleine réinvention de leur art : Steve Carell, toujours surprenant dans les rôles dramatiques, Mark Ruffalo, l’éternel second rôle de première classe, et surtout Channing Tatum, sur lequel peu de personnes auraient parié lors de ses débuts dans la saga Sexy Dance, et qui accède enfin à la crédibilité artistique et à la reconnaissance de ses pairs. Bennett Miller a simplement oublié une toute petite chose : l’émotion. La finesse de l’écriture et la beauté de l’image ne font pas tout. Ce que l’on recherche au cinéma, c’est avant tout de vibrer avec les personnages, d’avoir peur pour eux, de ne pas avoir envie de les abandonner à la fin de l’histoire. Ici, on ne ressent pas la moindre empathie pour les trois protagonistes, qui évoluent devant nous tels des pantins perdus dans la neige. Même si l’interprétation des acteurs est juste, le spectateur n’est à aucun moment invité à entrer dans la psyché des héros : nous sommes juste des témoins tenus à l’écart de cette histoire vénéneuse, mais dont il est impossible de sentir le goût du poison, tellement nous sommes gardés à distance par la virtuosité formelle de ses auteurs. Tout est bien, tout est beau, tout est parfait. Sauf que pendant ce temps là, nous, on s’ennuie.
C’est à se demander si Miller n’a pas oublié qu’il réalisait un film pour un public, et non pas uniquement pour des étudiants en cinéma. La déception est d’autant plus grande que Le Stratège, avec son style pourtant étudié et ses envolées techniques sur le baseball, traitait du monde du sport avec une énergie communicative. Foxcatcher est au contraire d’une lenteur sans nom, chaque mot étant prononcé comme s’il pesait trois tonnes, la lourdeur de chaque dialogue finissant d’achever le spectateur déjà amoindri par deux heures de scènes congelées et pour la plupart dénuées de musique.

Si Miller est sans aucun doute un réalisateur « audacieux » (c’est le terme qui revient le plus souvent dans les critiques dithyrambiques du film), il ne faudrait donc pas qu’il se complaise dans ces exercices de style austères et qu’il pense un peu plus au plaisir des gens qui vont voir ses films.

Foxcatcher de Bennett Miller
avec Steve Carell, Channing Tatum et Mark Ruffalo.
Scénario de E. Max Frye et Dan Futterman.


Julia Rivière

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