Ghostpoet « Dark Days + Canapés »

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Rien ne ressemble plus à un disque de Ghostpoet, qu’un album de Ghostpoet. Artiste emblématique Post-moderne Pop, il construit minutieusement autour de son personnage complexe et de sa signature vocale reconnaissable entre mille, une discographie imposante. Il revient donc en 2017, avec une régularité déconcertante pour Dark days + Canapés, un LP particulièrement abouti mais laissant apparaître sous le vernis d’une nonchalance historique, les contours d’une rage de plus en plus explicite et toujours aussi contenue.

Le morceau « Immigrant Boogie », placé en queue de wagon, symbolise ainsi par sa rudesse, cette révolte intérieure, de plus en plus rock et de moins en moins hip-hop, qui semble ronger notre homme. Dès son premier album, Peanut Butter Blues & Melancholy Jam (2011, Brownswood Recordings), le Londonien était déjà capable à l’occasion de saturer les vus-mètres (« Finished I Ain’t »). Mais la tension électrique furieuse qui anime « Immigrant Boogie » est inédite. En se mettant dans la peau d’un réfugié qui compte les passagers sur son bateau de fortune, Ghostpoet manifeste une intention presque Hardcore, qui ne demanderait d’ailleurs qu’à exploser (mais sans le faire). La phrase « No one knows, how many on the boat ? » introduit cette mise en scène troublante, dénonçant une réalité que l’Europe semble vouloir oublier dans un déni égoïste et mortifère. Le texte frappe par sa vocation frontale finalement peu commune chez notre musicien. En effet, directement assimilé à son propre flow aussi maîtrisé que délibérément monocorde, Obaro Ejimiwe de son vrai nom, a toujours développé une écriture unique, basée sur un ego trip halluciné et poétique. Entre slam et rap maladif, ce flux régulier de mots et de sens entretient en permanence un brouillard épais et confondant, qui trouve des échos contemporains chez des emcees américains, comme Milo et Bishop Nehru, ou dans les productions du groupe Shabazz Palaces. Pourtant, bien qu’il soit intrinsèquement lié au mouvement hip-hop et à la culture rap, sa discographie a dessiné progressivement une évolution esthétique, entrevu sur son deuxième LP Some Say I So I say Light (2003, Pias) avec « Sloth Trot », en tendant vers un Rock mélancolique et sombre, totalement assumé sur Shedding Skin (2015, Pias) à l’image de « Better Not Butter », « The Pleasure in Pleather » et donc désormais complétement adopté sur ce nouvel effort studio.

Comme un lointain fantôme, le ronronnement électronique de l’intro « One More Sip » rappelle d’ailleurs peut-être une dernière fois, les sonorités passées et nous plonge directement dans un étrange cauchemar éveillé, sur le premier véritable morceau « Many Moods at Midnight ». Le noir est évidemment la teinte principale. Mais le noir de la nuit, le noir du silence, et pourquoi pas celui du Brexit et plus largement celui d’un avenir de plus en plus sombre pour la planète et l’humanité. Pas d’étonnant de voir que Ghostpoet était invité l’an dernier, par Massive Attack sur le claustrophobe « Come Near Me » extrait
du EP The Spoils (2016, Virgin/Emi). Ainsi, il ne serait pas délirant de voir dans Dark Days + Canapés, le frère cadet du massif Heligoland (2010, Virgin) du célèbre duo de Bristol (surtout avec la présence vocale si marquée du guest Daddy G sur « Woo is Meee »). Des obsessions créatives émergent de ces deux œuvres comme autant de preuves d’une émancipation de l’étiquette trip-hop, et des obsessions latentes pour le Post-Punk, la New Wave, et tous ces mélanges hybrides issus de l’après Punk. Nous connaissons l’attirance naturelle de 3D et Daddy G pour des groupes comme Cabaret Voltaire, Big Audio Dynamite, Cocteau Twins. Difficile d’évoquer avec certitude les influences du moment de l’ami Ghostpoet, mais il y a fort à parier que des chanteurs rock ont nourri dernièrement son imaginaire : tant par instants, il semble emprunter avec malice et créativité ces petits détails qui font de ses voix des figures incontournables de la Pop culture, (je pense évidemment à Nick Cave sur « Many Moods at Midnight » et à Matt Berninger sur « Blind as a Bat »).
Pour toutes ces raisons, certains observateurs se réjouiraient de voir dans la musique de Ghostpoet, la résurrection fantasmée et tant attendu du « Tricky Kid », toujours en panne d’inspiration, depuis le début des années 2000. Pourtant, à l’animalité et l’intuition du bad boy tatoué, Ghostpoet lui oppose musicalement une élégance, pour ne pas dire un dandysme, qui s’approcherait de la précision d’un John Parish œuvrant pour PJ Harvey (« Live<Leave »), du versant crooner dépressif de Trent Treznor (« We are Dominoes ») ou du lyrisme de Talk Talk, (période 86-91 et des albums comme The Colour Of Spring ou The Laughing Stock). Histoire d’asseoir encore un peu plus, la force de son disque, Ghostpoet n’a pas oublié d’insérer un hit en puissance, évident et aéré avec « Freakshow ».

Ainsi avec Dark Days + Canapés, la fin d’année s’annonce donc difficile pour l’élection de l’album de l’année, car une fois de plus, notre homme est un sérieux concurrent au podium.

Ghostpoet Dark Days + Canapés [Pias]

TRACKLIST:

Side A

One More Sip
Many Moods At Midnight
Trouble + Me
(We’re) Dominoes
Freakshow
Dopamine If I Do

Side B

Live>Leave
Karoshi
Blind As A Bat…
Immigrant Boogie
Woe Is Meee
End Times



Album également dispo’ en écoute sur Spotify.





Laurent Thore

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