GIL « Lucarne »

Rangé des guitares depuis la fin des Mains Sales en 1999, Gilles Moret fait son grand retour avec un trio qui n’est pas sans rappeler par moments son prestigieux passé (Noodles, Dirty Hands, Mains Sales). Quand en plus, on retrouve Jean-Paul Romann à la prise de son et Christophe Sourice à la production, ça réveille de jolis souvenirs angevins.

Gilles Moret a amputé son nom pour officier sous GIL. Habitué auparavant à exercer en compagnie de trois ou quatre autres musiciens et toujours en compagnie de son regretté ami Doumé à qui le disque est dédié, Gilles avance cette fois en trio se chargeant seul des parties guitare. Pour autant, son jeu reste toujours très fin, efficace, préférant l’économie de notes aux grosses escalopes saignantes. Il a la présence d’esprit de ne pas en foutre partout pour combler l’absence d’une deuxième guitare (la basse et la batterie s’en chargent brillamment), préférant se consacrer aux mélodies et aux harmonies. Cette impression est renforcée par le fait qu’à la console, exercent un ingénieur du son et un producteur qui ont beaucoup œuvré pour les Noodles et les Dirty Hands par le passé et qui, par conséquent, ne se gênent pas pour réutiliser les mêmes recettes, réactualisées évidemment, en vertu du principe que ce sont dans les vieux pots qu’on fait la meilleure soupe. Les entrelacs de la basse de Damien Prono saisissent l’oreille au lasso pour projeter l’auditeur comme une toupie dans un numéro de derviche tourneur et ce, dès le premier morceau, “Seule, la nuit”, avec une ligne et un son façon Dirty Hands, ou à la manière de “Waiting Room” de Fugazi que reprenait Dirty Hands justement. Au deuxième morceau, “Hôtel de l’univers”, changement de braquet. Si la basse et la batterie tiennent une rythmique ferroviaire à la Thugs, la voix et la guitare donnent la signature GIL avec une mélodie aguicheuse qui enveloppe les temps du bout des doigts et un texte contant l’histoire d’un mystérieux rendez-vous entre ciel et étoiles. La batterie de Mehdi Ennemri, épurée et trapue en même temps, développe du couple à tous les régimes. La courroie basse / batterie est un modèle d’efficacité. Elle prend bien soin d’occuper l’espace en laissant suffisamment de place aux mélodies pour se développer et aux harmonies hypnotiques pour s’épanouir. Pour qu’une chanson soit “solid as rock”, il faut que la base rythmique soit solide. Déjà, quand on a ça, il est plus facile de poser des mélodies dessus. Un groupe rock ne peut être bon que si, et seulement si, sa basse / batterie est solide. GIL a le bonheur d’être emmené par une rythmique redoutable. La question qui brûle les lèvres des innombrables fans des Noodles et des Dirty Hands qui ne s’attendaient sûrement pas à un come-back aussi retentissant : Gilles a-t-il conservé cette si jolie voix qui était une des remarquables particularités des groupes qu’il emmenait par le passé ? Oui, mille fois oui. Elle est encore plus ample, plus chaleureuse. Il s’autorise à insister sur les temps forts ou, au contraire, à laisser poindre les harmonies, selon la couleur appliquée au morceau. La rythmique tribale de “Insolation” porte un texte onirique qui sonne comme un agrégat d’haïkus rock’n’roll avec une profondeur de chant accentuée par cette basse / batterie stroboscopique et enivrante. “Et au loin” recèle ce qui pourrait bien être la moelle de GIL, tant par son architecture que par son texte qui débute par : « Petite fille, tes poupées sont cassées… ». La chanson démarre sur la pointe des pieds pour aller crescendo sans avoir besoin de
déclencher d’arcs électriques. Les chœurs donnent du corps au morceau qui s’inscrit entre Fugazi et Sonic Youth s’il fallait donner un cadre au tableau. “Les jours à venir” ont l’allure du tube. Une écoute et on est sous le charme, on répète en boucle dans sa tête “les jours à venir” des heures durant. Pour conclure ce très bel EP, GIL termine par une version bodybuildée de “Samuel Hall”, chanson composée par Rodolphe Burger et Olivier Cadot pour le texte, sonnant très Gainsbourg quand Alain Bashung l’interprétait. Chanson inspirée de “Sam Hall” de Johnny Cash, lui-même inspiré par une chanson du XVIII ème narrant l’histoire d’un bandit anglais qui a fini la corde au cou en rigolant et en se moquant de tout le monde : « Allez au diable, je
m’appelle Samuel Hall, je vous déteste tous ». Reprenons le fil, de GIL on est remonté à Burger, Bashung, Gainsbourg et Johnny Cash pour un morceau au gros son 90’s. Et qui dit Rodolphe Burger, dit Kat Onoma que GIL rappelle sous certains
aspects. Cette dernière salve met un point d’orgue à un disque intitulé Lucarne, comme un tir dans l’angle, une frappe à la marge. Comme Gilles ne manque pas d’humour, c’est aussi un clin d’œil à son boulot, il est le speaker du stade du SCO d’Angers, le club de foot de Ligue 1. Avec cet EP, GIL démontre d’entrée qu’il joue toujours en première division.

GIL Lucarne Twenty Something

TRACKLIST :

Seule, la nuit
Hôtel de l’univers
Insolation
Et au loin
Les jours à venir
Samuel Hall


Patrick Foulhoux

Ancien directeur artistique de Spliff Records, Pyromane Records, activiste notoire, fauteur de troubles patenté, journaliste rock au sang chaud, spécialisé dans les styles réputés “hors normes” pour de nombreux magazines (Rolling Stone, Punk Rawk, Violence, Dig It, Kérosène, Abus Dangereux, Rock Sound…), Patrick Foulhoux est un drôle de zèbre.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.