Graham MacIndoe « Light Years »

Portrait de Graham MacIndoe par Richard Wade ©

Des clichés très souvent contrastés, pour la plupart en noir et blanc mais avec toujours cette patte, ce grain qui donne envie de connaître l’histoire de l’image, ce qui se cache derrière les protagonistes. Des interrogations tout aussi pertinentes que le parcours de son auteur, le photographe écossais Graham MacIndoe. Rencontre avec un artiste au parcours cabossé, qui sort cette année un livre, Light Years.

Pas particulièrement bavard sur son histoire (en tout cas par e-mail) mais suffisamment intrigant pour que l’on ait envie d’approfondir le sujet. Né en Grande-Bretagne, le photographe en herbe, qui grandit quelque part entre Glasgow et Edinburgh, s’intéresse à la musique dès l’adolescence lors de l’émergence du punk à la fin des années 70 et au début des années 80. Il passe quelques années à Londres et s’envole une première fois pour le Nouveau Monde. Jusqu’alors, MacIndoe ressent une attirance indéniable pour l’art en général -il a étudié à l’école le dessin et la peinture- mais la photographie ne reste pour lui qu’un hobby. C’est la découverte du travail de grands photographes américains (Bruce Davidson ou Robert Frank pour ne citer qu’eux) qui permettront au jeune artiste de réellement trouver sa voie. En ’92, il s’installe définitivement à New York. À l’époque, la Grosse Pomme est encore brute, dure et gangrenée par un fort taux de criminalité, mais reste le berceau de bon nombre de mouvements artistiques fascinants. Le photographe s’y plait. C’est décidé, il fera sa vie ici. Il travaille alors pour le New York Times, W, Details, le Guardian ou des marques comme Nike ou IBM tout en continuant à garder un oeil sur la musique, en prenant des photos de concerts. À travers une agence de design avec qui il collabore, il se lie d’amitié avec un certain Scott Devendorf, futur membre fondateur d’un petit groupe de rock indé répondant au nom de The National.

Scott Devendorf et Matt Berninger (The National) NYC, 2018 ©

MacIndoe devient proche de ses membres et sera le témoin des débuts du quintet originaire de l’Ohio, alors totalement inconnu du grand public et en pleine recherche d’identité. Il en tire quelques photos à leur demande avant de doucement perdre pied. D’excès en dérives sans grande incidence, Graham découvre les drogues dures. L’alcool et la cocaïne l’amènent à l’héroïne puis au crack. Le schéma est tristement classique : Alors que personne dans son entourage, pas même lui, ne le voit venir, il sombre rapidement dans l’addiction ; La spirale infernale s’amorce : Il arrête de travailler dans la pub et perd travail et amis, mais ne cesse pour autant à aucun moment de faire des photos. Il confiera d’ailleurs à propos de cette période que « même au plus profond de mon addiction, je vivais toujours comme un photographe, je réfléchissais à la lumière, aux couleurs et au cadrage […] Le fait d’être consommateur de drogue ne voulait pas dire que j’avais perdu ma capacité à prendre une belle photo ». Il tirera quelques années plus tard de ces clichés une exposition intitulée Coming Clean, sous forme de plongée dans le quotidien d’un junkie : lui-même.

Autoportrait tiré de Coming Clean, 2005 ©

Une série de photographies aussi fascinante que bouleversante et crue, volontairement dure à regarder, qui, selon le photographe « montre la réalité de l’addiction, l’isolation et la douleur qui l’accompagnent ». Quelques détours par la case prison et notamment un séjour de six mois derrière les barreaux avec une menace d’expulsion de son pays d’adoption sont la douche froide qui lui permet de sortir la tête de l’eau. Père depuis quelques années, il ne peut imaginer un seul instant rentrer seul en Ecosse, séparé de son fils. Début 2011, MacIndoe sort d’un programme de réhabilitation et reprend sa vie en main. En quête de rédemption, il renoue le contact avec son ancien entourage. L’une des premières personnes qu’il appelle sera Scott Devendorf. Soucieux du tournant qu’a pris la vie de son ami perdu de vue, le designer, désormais musicien à plein temps, lui propose rapidement de l’accompagner en studio, alors que les National sont en train d’enregistrer Trouble Will Find Me (4AD, 2013). Depuis, le photographe ne lâchera plus le groupe.

Black Lives Matter protest, NYC, Juin 2020 ©

Parallèlement à la musique, Graham MacIndoe, reprend ses vieilles habitudes en trimballant toujours un appareil sous le bras ; Il multiplie les séries de photos, avec un engagement certain pour le cliché politique ou social. Au détour de quelques portraits, il couvre notamment les manifestations du mouvement Black Lives Matter ou les marches anti-Trump, documente la vie d’immigrés expulsés injustement des Etats-Unis ou se fait le témoin des rues new-yorkaises vidées par la pandémie de COVID-19. Il reprend également le chemin des salles de concerts en offrant des clichés uniques capturés sur le devant de la scène comme depuis les coulisses (Idles. Shame, Bodega ou Nick Cave & The Bad Seeds).

Mais c’est sa proximité avec les National qui lui permet le plus de liberté. Connaissant chaque membre du groupe, leur façon de bouger et d’occuper la scène comme leurs setlists, il sait précisément quand braquer son objectif afin de fixer des images uniques. Light Years, nommé d’après le titre d’une chanson du quintet, raconte son parcours mais surtout sa relation au côté de Matt Berninger, Aaron & Bryce Dessner, Bryan et Scott Devendorf.

Graham MacIndoe Light Years
Retrouvez un aperçu des travaux du photographe
ci-dessous, le reste, sur son site web à découvrir ici.

Brooklyn, NYC, 2019 ©

Menace to Supremacy, Brooklyn, NYC, 2020 ©

Sloppy Jane Band, 2019 ©

Idles, NYC, 2019 ©

Police, NYC, juillet 2020 ©

Peter Dinklage, NYC, 2018 ©

NYC, mai 2020 ©

Robert Frank, NYC, 2018

Bryan Devendorf, The National, 2018 ©

Stéphane Pinguet

Disquaire indépendant aigri mais passionné, amateur de musique, cinéma, littérature et bandes dessinées en tous genres.

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