Nilok4Tet & Daniel Zimmermann « A Wonder Plane… »

Le combo français de jazz Nilok4Tet s’est littéralement sublimé sur son nouveau disque au contact du tromboniste de renom, Daniel Zimmermann. Au travers d’une approche décomplexée et particulièrement expressive de l’objet jazz, le quintet réuni pour l’occasion, a donné naissance à huit interprétations intenses et particulièrement inspirées, s’éloignant avec bonheur du classicisme et de l’orthodoxie de rigueur, pour créer une œuvre moderne et vivante, dans le sillage d’un John Medeski ou des imposants Anglais de The Comet is Coming.

A n’en point douter, le groupe créé fin 2013, par le leader et contrebassiste Colin Jore, connaît sur le bout des doigts les classiques du genre, enfin surtout les siens ! A l’image du morceau introductif « 68, l’été », il célèbre en effet l’héritage des grandes figures afro-américaines et vénérées comme Archie Shepp, John Coltrane (notamment à travers les parties de saxophone ténor pleines de vie d’Yvan Picault !), Ahmad Jamal (le jeu très nuancé et aérien de Xavier Gainche au piano)…. Douze minutes pleines de rebondissements, qui plantent le décor : chaque instrumentiste a l’occasion de s’illustrer. En effet, le jazz reste sur A Wonder Plane… un espace de jeu, de questions-réponses, basé sur l’écoute et l’abnégation. Chaque nouveau développement est l’occasion d’ouvrir le champ des possibles, le principal étant à l’évidence pour chacun des protagonistes d’entretenir le désir et l’envie de ses partenaires. Bien sûr, l’exercice aurait pu se transformer en un rendez-vous convenu, visant à mettre au centre du propos le timbre du trombone de Daniel Zimmermann. A l’inverse, cette liberté collective rappelle, toutes proportions gardées, l’esprit du fameux Liberation Music Orchestra : Colin Jore a certainement parmi ses propres modèles le grand Charlie Haden. Pourtant, ici et là, se diffusent de subtiles références aux musiques électroniques, au rock, aux musiques de films. A tel point que le quintet pourrait faire penser au Cinematic Orchestra du début, mais dans une version plus fougueuse et moins contenue par le travail de re-sampling et de synthèse de Jason Swinscoe. notamment par sa formidable capacité de suggestions climatiques sur « The Green Fish in a Tunnel » et son final abrasif, que n’aurait pas renié justement John Medeski. Sur « Runn », la rythmique syncopée du breakbeat énergique activé par Fabien Duscombs est l’illustration parfaite de ces interpénétrations réciproques et acquises entre les musiques basées sur les samples, les musiques « électroniques » et le Jazz. Plus largement, les digressions sonores qui déroutent chacun des morceaux de sa propre trajectoire, entretiennent sur la longueur du disque une ambiance onirique et planante, aussi captivante que perturbante. Les fans des inclassables The Heliocentrics apprécieront, les autres devront faire l’effort pour ne pas passer à côté d’un bonheur tout simplement immense, et grandissant à chaque écoute, pour un album pourtant loin d’être foncièrement accessible. Néanmoins, le groove ne quitte jamais vraiment le dessin de nos cinq esthètes, comme sur la conclusion lumineuse que constitue « Experience1999 », qui résume à elle seule toute la qualité musicale de A Wonder Plane. Mais s’il ne fallait retenir qu’un seul morceau, ce serait peut-être « Five Fingers Up », hésitant entre le Jazz Funk et le Jazz Rock, jusqu’à cette montée explosive, qui pourrait rendre jaloux les figures du renouveau Jazz anglais actuel, The Comet Is Coming.

Pour terminer cette chronique, comment ne pas saluer la grande humilité et la grande classe de Daniel Zimmermann, dont le trombone éclabousse par sa justesse et ses intentions ce deuxième album de Nilok4Tet, dont certains morceaux déjà présents sur un premier album (sorti en 2014 et nommé justement A Wonder Plane Part. 1), ont pris une consistance remarquable et décisive.

Nilok4Tet & Daniel Zimmermann A Wonder Plane… Alfred Productions/Orkhêstra

TRACKLIST :

68 l’été
The green fish in a tunnel
Runn
Vibratil
Five fingers up
Naseaux inquiétants
Au coeur du mal 
Expérience 1999



Album également dispo’ sur Apple Music Bandcamp,
ainsi que chez tous les bons disquaires indé’ !



Laurent Thore

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