V/A « Nuits Blanches »

L’exercice de la compilation affichant les forces en présence dans un secteur d’activité bien défini semblait ne plus être dans l’air du temps. Lollipop Records renoue avec la tradition. Pour sa 60ème production, à l’initiative de T.Boy, le bassiste des Lullies, le label marseillais offre un instantané de la scène rock garage française au sens large, du punk à la power pop. Nuits blanches est à considérer comme une Nuggets ou une Pebbles en temps réel, constituée non pas de pépites oubliées au fond des tiroirs, mais de petits trésors de groupes en activité.

Ce genre d’initiative est généralement bancal. On y trouve habituellement deux ou trois titres forts exécutés par des pointures et le reste est souvent du remplissage avec des chansons recalées par ailleurs ou des morceaux de groupes pas encore bien dégrossis. Mais alors là, avec Nuits blanches, même si la plupart des 16 artistes présents sont au mieux méconnus, les 16 titres qui la composent sont de très haut niveau. Ça démarre par la tonitruante “Dernier soir” des notoires Lullies dans un registre Dogs/Bijou à te coller les esgourdes en feuilles de chou. Au tour ensuite des Marseillais de Parade avec un très engageant “Electric Fear” post-punk pour ouvrir la route aux sauvageons Scaners et leur sulfureux “Pesticide Kids”, punk rock garage de soutier en bordée. Mais moi les dingues, je les soigne, je m’en vais leur faire une ordonnance et une sévère… Heureusement que les filles d’Alvida viennent temporiser leurs ardeurs à tous ces malpolis avec une très jolie “Moustique” girl pop 60’s façon Calamités. Une petite touche bubble-gum bienvenue au milieu du vacarme. Food Fight reprend le flambeau avec un morceau entre rock et punk limite street, mais pas trop pour ne pas effrayer le chaland. Ça repart de plus belle ensuite avec les déglingos de Holeshots composés d’ex-Swindlers, ex-Pneumonias, ex-Bikini Men et autres scories punks. Les chiens ne font pas des chats. Comme si les Sonics s’étaient coincés les doigts dans la porte du local des Ramones. Et Pogy et les Kéfars derrière sont de la même trempe avec “Marseille tombe”. D’ailleurs, Marseille est bien représentée sur la compile, normal, le label est local. Alors forcément, on n’est pas surpris de voir la première face se conclure avec les poissonnières de la Canebière, les gigolos du Prado, les cagoles du rock’n’roll, j’ai nommé les imputrescibles La Flingue, un des groupes punks les plus excitants et les plus aboutis de ces dix dernières années. Le chanteur, Olivier Gasoil, est aussi illustrateur/infographiste. S’il fait des disques, selon lui, ce n’est pas pour la musique, c’est pour avoir le plaisir de concevoir les pochettes et les visuels des groupes auxquels il participe (trop nombreux pour les lister ici). C’est d’ailleurs lui qui a fait la pochette de Nuits blanches. Olivier Gasoil est le produit à l’état brut de ce qu’Andy Warhol et Malcolm McLaren ont toujours rêvé de réaliser, le dernier avatar en date, l’incarnation du Dadaïsme. J’arrête là, il faudra bien un jour que quelqu’un écrive un livre sur ce drôle d’énergumène qui, s’il n’était pas si humble, serait une rock star depuis longtemps.
La face B débute avec Boss, un nom de groupe qu’affectionnent les Australiens généralement, pourtant là, ce sont bien des gars de chez nous qui balancent un rock nerveux estampillé 70’s, plus Dictators que New York Dolls pour situer, donc très new-yorkais malgré tout. Le Rochelais de Bart et ses Brats fait tout, tout seul en studio et se fait accompagner pour la scène évidemment pour un punk rock de terrassier tchétchène coursé par des indépendantistes ukrainiens en pleine déroute du Soviet Suprême. Derrière, Asphalt rejoint Avilda avec un punk rock bubble-gum 60’s là aussi dans la veine Calamités en plus énervées. Almost Lovers part dans une direction totalement différente de tout ce qui a été commis jusque-là avec une superbe “Find Out” power pop, un sublime morceau complété par la jolie voix de Pogy aux chœurs. Ceux-là, je ne sais pas d’où ils viennent, je doute qu’ils en soient à leur coup d’essai, il y a de la maitrise, de l’expérience, en un mot, du talent. Autant que les élégants Pleasures qui suivent avec “This Love In Me” power pop. Les Pleasures étant le groupe auquel participe Stéphane Signoret (ex-Neurotic Swingers) du label Lollipop et de la boutique du même nom sise au 2 boulevard Théodore Thurner dans le XIème arrondissement à Marseille. The Suttles déclenchent ensuite une “Lucy” qui va provoquer des arrêts cardiaques, on jurerait entendre les Dogs de A Different Me. Un tube. Encore des Marseillais avec Flathead pour une magnifique “Sunset Girl” power pop. Le quintet compte dans ses rangs Rudy Romeur, figure du milieu rock de la capitale phocéenne, tout ça pour finir avec les excités Teenage Hearts qui arrachent au bulldozer une “Simple Needs” boogie 70’s débraillé à dégonder les cages à miel d’un phacochère cacochyme. Quelle compilation la vache, mais quelle compilation ! Ajustez vos lunettes noires et passez de belles nuits blanches.

Compilation Nuits Blanches Lollipop Records/L’autre Distribution

TRACKLIST:

Face A

Les Lullies Dernier soir
Parade Electric Fear
Scaners Pesticide Kids
Alvida Moustique
Food Fight Permanent Departure
Holeshots All Days All Nights
Pogy et les Kefars Marseille tombe
La Flingue À genoux dans la pisse

Face B

Boss Red Signal
Bart & The Brats Corporate Rock Massacre
Asphalt Épluchure
Almost Lovers Find Out (feat. Pogy)
Pleasures This Love In Me
The Suttles Lucy
Flathead Sunset Girl
Teenage Hearts Simple Needs


Album disponible chez tous les bons disquaires indé’ !


 

Patrick Foulhoux

Ancien directeur artistique de Spliff Records, Pyromane Records, activiste notoire, fauteur de troubles patenté, journaliste rock au sang chaud, spécialisé dans les styles réputés “hors normes” pour de nombreux magazines (Rolling Stone, Punk Rawk, Violence, Dig It, Kérosène, Abus Dangereux, Rock Sound…), Patrick Foulhoux est un drôle de zèbre.

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