Le fond et la forme, formule usée jusqu’à la moelle symbolise parfaitement le disque de la rappeuse Pumpkin et du beatmaker Vin’s Da Cuero, « Peinture Fraîche ». Dans l’univers saturé de la musique version 3.0, le tandem impose un esprit, un leitmotiv animé par la passion, la sincérité et la volonté d’aller vers les autres.
Il est question ici de rap français, genre musical essentiel et vital, grand méchant loup qui fait toujours peur, animal aux multiples visages, art de la parole et du verbe, prolongement sonore du corps et de l’esprit, un des derniers actes de résistance culturelle de notre société. Pumpkin est une rappeuse et alors ! En 2015, ce sujet ne devrait plus en être un (« Rose Combat »). Singulière et unique, telle est Pumpkin. Elle revendique son indépendance, qu’elle met concrètement en forme avec Vin’S Da Cuero, dans le label Mentalow Music. Pumpkin est une acharnée, une inlassable, une passionnée comme on en fait peu, comme on en fait plus, j’oserais presque dire. Activiste hip-hop, elle contrôle sa musique à travers Mentalow Music, label qui sent bon le do it yourself et le système D. Pumpkin n’est pas pour autant une antisystème, elle n’est pas en dehors des circuits. Elle maîtrise les codes et les usages de l’industrie de la musique, elle s’en sert avec maîtrise pour diffuser son œuvre et progresser dans sa pratique.
Chez Pumpkin, le rap n’est pas un passe-temps, une posture, c’est un engagement, une « discipline », c’est un tout, qui se confronte aux autres et magnifie nos différences. Elle ne le cache pas, Mc Soolar a été décisif dans son envie de prendre le micro, dans son envie de manier la plume. Une position courageuse dans un univers rap extrêmement segmenté, où l’opposition mainstream/underground est parfois plus une question de principe, sans véritable fondement militant ou politique. Pourtant le rap est politique par essence. Et Pumpkin le démontre pendant toute la durée de l’album. A chaque phrase, elle nous invite à interroger nos représentations et nos modes de vies. Pas besoin pour cela, d’un flow agressif ou démonstratif, Pumpkin rappe comme personne d’autres, elle ne cherche pas à impressionner, la performance est ailleurs. Car c’est une évidence, la performance est bien là.
Depuis L’Année en Décembre sorti en 2009, Pumpkin construit un univers et un propos cohérent et abouti. Un propos qu’il serait facile de qualifier de militant, mais le mot serait réducteur car Pumpkin n’est pas réellement engagé derrière une cause, si ce n’est celle d’un Hip-Hop généreux, lucide et conscient. Son rap est en phase avec le réel, observateur des mœurs et des travers de nos sociétés contemporaines. A l’image de sa communication en ligne, le rap de Pumpkin est animé par une soif de liberté, liberté de faire et d’être dans un univers pour le moins aseptisé et redoutable. Depuis Silence Radio sorti fin 2012, mini-album en 6 actes, le rap de Pumpkin a encore grandi, pris de la hauteur. Le rap français est toujours un espace de liberté, un laboratoire de la langue française luttant contre les conformismes et la bien-pensance. A la manière des Boris Vian et autre Raymond Queneau au siècle dernier, Pumpkin agite cette langue, en perpétuelle évolution, cosmopolite et sans frontières, reflet de la vie et de la rue.
Le disque s’ouvre avec « Discipline » qui frappe d’entrée par la musicalité des phrases et ses rebonds dynamiques. Chacun des mots est matière créative, source d’une poésie urbaine, acide et décalée. Dans « Peinture Fraîche » les mots sont des briques « Lego ». Pumpkin les manipule, les détourne, les imbrique, les assume, les assemble. Dans « Spleen Extremis », par exemple, Pumpkin nous invite à une réflexion sensible sur la question de l’aliénation. Grâce à un sens aigu de la formule, les textes activent notre mental, réveillent nos sens (« Ressources inhumaines » toujours sur « Spleen Extremis »). Experte de la gimmick imparable, de la punchline habile, ses textes font mouches, sans tomber dans la facilité (« Mauvaise langue »). Véritables mille-feuilles en strate, chaque track demande plusieurs écoutes pour en saisir tout le sens, toute la nuance.
Le featuring, argument facile et marketing de l’industrie du disque, reprend avec Pumpkin et Vin’s Da Cuero ses lettres de noblesses, à l’image du fantastique « Louder » feat Boog Brown/Rita J et de l’évident « Fifty Fifty » feat 20 Syl à la prod’ et au chant. Pumpkin sait s’entourer, provoquer les rencontres, profiter des opportunités. Elle tisse son réseau comme une toile, en support à un projet limpide et original, qui a déjà séduit 20 Syl, Dj Vadim, TY, et autres Beatspoke… Pumpkin incarne certes la musique du duo, mais elle serait bien isolée sans la magie des beats élastiques du talentueux beatmaker, Vin’s Da Cuero (épaulé au mixage par le fidèle producteur, Supafuh). Boom Bap, Electro, Jazzy, post-hip-hop, l’ensemble saisit par sa cohérence. Les productions sont aérées, véritables invitations pour la joute vocale comme sur « Louder » ou « Mouvement ». Toutes en apesanteur, les intro aspirent, créent des espaces pour mieux capturer notre écoute dès la première mesure du beat.
Vin’s Da Cuero est un vrai hip-hop « addict ». Pour le site Just One Record, dont le principe est de laisser parler un artiste de son album préféré, Vin’s Da Cuero avait choisi l’album Midnight Marauders (1993, Jive Records) de A Tribe Called Quest. Un choix qui ne surprend pas à l’écoute de Peinture Fraîche. Vin’s Da Cuero découpe, isole, décale, superpose samples et loops avec malice et simplicité. Le monsieur semble s’être fait plaisir en multipliant les exercices de styles. Sur Peinture Fraîche, Il dissémine ici et là, des références discrètes tout en imposant son savoir-faire, sa personnalité: scratch en forme de clin d’œil au rap 90’s sur « Bye Bye Madeleine », boucle diabolique façon Wu Tang ou Dj Krush sur « Spleen Extremis ». L’illusion est presque totale sur « Série Noire » : atmosphère spirituelle et spoken words, contrebasse élégante et racée, clavier discret, soudain le moteur de la platine se coupe, la boucle démarre, le morceau prend une direction nouvelle. Un instru’ qui n’aurait pas déplu à la géniale américaine Ursula Rucker. Vin’s Da Cuero installe même un interlude rigolo et accrocheur avec « le Tic Tac », hommage non dissimulé au « Diggin' » de 45T « Library », activité essentielle de tout beatmaker qui se respecte.
Peinture Fraîche bien que présentée comme une œuvre « Boom Bap » se distingue aisément de la surabondance actuelle des productions qui inonde les différentes plateformes internet et les bacs de disques. Autant de productions qui feraient passer le trip-hop des années 90 pour une musique d’énervés et de compositeurs d’avant-garde. Vin’s Da Cuero n’est pas tombé dans ce piège, sa musique est réfléchie, construite et exigeante. Résultat l’alchimie est réelle : sans être nécessairement dancefloor, les morceaux emportent par leurs énergies positives, portés par l’intention sans faille de Pumpkin et la précision de l’ami Vin’s Da Cuero. Peinture Fraîche est une des belles surprises de ce début d’année et un candidat futur au statut de référence du rap français.
Pumpkin & Vin’S Da Cuero Peinture Fraîche Mentalow Music
TRACKLIST:
Face A
Discipline
Louder (featuring Boog Brown & Rita J)
Mauvaise Langue
Fifty Fifty (featuring 20Syl)
Le Tic Tac
L’Encre
Face B
Bye Bye Madeleine (featuring Mr. J. Medeiros)
Spleen Extremis
Got This
Mouvement (featuring Dynasty & Signif)
Serie Noire
Rose Combat
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