Dopplereffekt « Cellular Automata »

Dopplereffekt "Cellular Automata"

Dopplereffekt est l’un des représentants les plus importants de la musique Electro actuelle, Electro au sens strict de ce mouvement, né aux Etats-Unis, et notamment à Détroit, à l’orée des années 80. Son nouvel album Celullar Automata entretient assurément le mythe d’un groupe aussi conceptuel qu’incontournable.

Dopplereffekt a toujours été une entité à part dans l’univers des musiques électroniques depuis des premiers maxis, à partir de 1995, d’ailleurs rassemblés sur l’excellente compilation, Gesamtkuntswerk sur le label de Dj Hell (1999, International Deejays Gigolo Records). Émanation la plus emblématique, du musicien afro-américain de Détroit, Gerald Donald (Der Zyklus, Arpanet et bien sûr Drexciya avec le défunt James Stinson), le projet dépasse aisément le strict cadre de la musique, et développe une proposition artistique à la frontière de l’art contemporain et du multimédia.
En cela, il est peut-être le descendant le plus direct de Kraftwerk, ne serait-ce que dans son rapport à la machine, comme instrument de musique. Les Allemands construisaient un univers rétro-futuriste, focalisé sur des éléments emblématiques des sociétés industrielles de l’après-guerre (les centrales nucléaires, les autoroutes, les ordinateurs…) et la déclinaison de concepts aussi imposants que celui de l’homme-machine ou de la globalisation. Dopplereffekt a apporté à cette matière réflexive originelle, une fascination intellectuelle et créative pour le totalitarisme et l’eugénisme, sur ces premiers titres (« Superior Race », « Sterilization »…), d’ailleurs certainement inspiré par le duo allemand controversé des eighties D.A.F. (DeutschAmerikanische Freundschaft). Gerald Donald a toujours impressionné par sa capacité à partitionner ses obsessions à travers ses différents alias ; comme avec Arpanet et son anticipation du bouleversement numérique actuel sur justement nommé Wireless Internet, (2002, Records Makers). Depuis quelques années, accompagné par la musicienne allemande Micheala To-Nhan Bertel, son imaginaire se concentre sur des innovations et définitions issues des domaines des mathématiques, de la physique et de la géométrie (« Isotropy », « Mandelbrot »…), qui attestent peut-être aussi bien d’une mutation de son propos vers une abstraction scientifique que d’une façon de brouiller les pistes et d’entretenir encore plus sa légende.
Pourtant, l’électro « made in Detroit » a toujours été porteuse par essence, d’un leitmotiv politique, déclinaison synthétique de l’afro-futurisme défini entre autres, par les œuvres cosmiques de Sun Ra et de George Clinton, et notamment formalisée par les précurseurs Cybotron dans les premiers morceaux, Clear (1983, Fantasy) et Cosmic Cars (1982, Deep Space Records). Ainsi nous pourrions nous poser la question du lien entre le titre « Von Neumann Probe » et l’extravagant vaisseau extra-terrestre de Parliament, le Mothership Connexion (1975, Casablanca), identifié comme le moyen cosmique d’inverser le cours de l’histoire de la déportation du peuple nord-américain, par les mécanismes de l’esclavage. En effet, en cherchant des informations, sur la sonde « Von Neumann « , c’est une théorie (improbable mais hautement documentée) sur la mise en œuvre d’un engin spatial auto-réplicant qui apparaît sur mon écran, et pourrait pourquoi pas, relancer le mythe du vaisseau-mère de l’ami Clinton.
Vous l’aurez compris, la radicalité de la musique de Dopplereffekt ne peut supporter la réduction à un exercice de style musical, tant elle sert une démarche artistique complexe, qui interroge en permanence, sur ses motivations intrinsèques. Bande-son d’une dystopie étouffante, inspirée par la science-fiction des livres d’Alvin Toffler et d’Isaac Asimov, de l’univers du premier Blade Runner… (la liste pourrait être très longue), elle semble être en permanence sur le fil du rasoir entre spontanéité, naïveté instrumentale, et processus de composition extrêmement poussé.

Difficile de sortir indemne d’un disque de Dopplereffekt, et encore plus de Cellular Automata, qui s’éloigne comme jamais des vertus dansantes de l’Electro, (pourtant présent sur les titres les plus pop de Gerald Donald) pour se concentrer sur sa dimension la plus ésotérique, qui pourrait d’ailleurs rejoindre sans problème, les paysages bruitistes et numériques d’Autechre, et complétement abandonner les délires déviants et Dance-Floor façon Dmx krew ou I-F, n’en déplaisent à nos chers algorithmes.

Dopplereffekt Cellular Automata Leisure System

TRACKLIST:

Side A

Cellular Automata
Von Neumann Probe
Gestalt Intelligence
Isotropy
Pascal’s Recursion

Side B

Ulams Spiral
Mandelbrot Set
Spirangle
Exponential Decay



Album également dispo’ sur Spotify.



Laurent Thore

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