Flowdan « Disaster Piece »

Disaster Piece

Des albums dépassent parfois les contours de leurs propres territoires pour devenir des œuvres globales au sens noble du terme. Un monument comme Mezzanine de Massive Attack en est un exemple parfait.

Le MC Flowdan affiche une ambition nouvelle sur son nouveau Lp. Sans véritablement délaisser les éléments indissociables de la Grime Music (son style de prédilection), il s’oriente vers une optique moins radicale (en tout cas, dans la première partie de « Disaster Piece ») et des choix esthétiques qui devraient lui ouvrir les portes d’une audience beaucoup plus large. Même si des activistes comme Flowdan, Trim ou Durtty Goodz, sont adulés en Angleterre et plus largement au Royaume-Uni, ils sont loin d’être mondialement connus comme Dizzee Rascal, pour ne citer que lui. En même temps, à la vue de ses productions les plus récentes, nous pourrions presque dire que ce dernier a vendu son âme au diable. A la différence de Flowdan qui, pour le coup, n’a pas cherché sa voie dans la machine à cash qu’est désormais la Dance Music, mais s’est orienté sur ce long format, dans une forme déviante de « Dub Peotry ».
Flowdan est avant tout un « maître de cérémonie » qui, comme les premiers toasters jamaïcains, navigue sur la musique et dépose ses mots crus et acides, quelque soit le genre associé. En explorant ses exploits passés, il n’est pas surprenant de voir que notre homme a fait ses armes sur les radios pirates anglaises, dans des radios-shows à la vibe jungle bouillonnante. Notamment associé à l’icône Wiley, au sein du crew Roll Deep, il a par la suite, vraisemblablement dessiné les contours du Grime.
Ainsi, tant qu’à poursuivre les comparaisons, avec les pourtant incomparables Massive Attack (écoutez « Judgement » et vous comprendrez aisément mon propos), Flowdan synthétise avec cet album tous les genres de musiques dérivées de la culture Sound-System, que symbolise comme personne le producteur et musicien Adrian Sherwood. En faisant appel à une pléiade de producteurs underground (comme Masro, Echodeal, Cato), Flowdan a donné plus d’air à son écriture et à son flow massif. Ainsi la Jamaïque n’est jamais bien loin, qu’elle soit Dub ou Dancehall. Enfants de la culture Rave, descendants bancals du Rap Hardcore version US, et finalement punk sans vraiment l’être, la scène Grime réinvente 70 ans de musiques populaires à travers une énergie urbaine, parfois suffocante mais tellement en résonance avec la violence du monde moderne. Loin d’être des anti-systèmes, des figures comme Wiley, Flowdan ou Stormzy jouent avec les codes de l’industrie du divertissement, rivalisent avec les excès du Rap Game US ou des stars Ragga de Kingston, en créant des personnages qu’ils gèrent comme de véritables entreprises.
Néanmoins, en dépassant ses penchants presque systématiques, Flowdan se rapproche vocalement et spirituellement de figures comme LKJ (« Groundhog »), Saul Williams (« Flatline ») et bien sûr de Tricky (« Bob Marley ») et de Daddy G. Flowdan laisse désormais le terrain de la performance à d’autres en emmenant son phrasé vers une sorte de poésie 2.0 et une conscience presque journalistique. La complicité qu’il entretient sur « Disaster Piece » avec la chanteuse de l’East London, Animai, rappelle d’ailleurs étrangement la complicité vocale du combo Senser, première époque et devient l’un des arguments forts de l’évolution de la musique de Flowdan. Attention après un interlude très enfumé, évoquant le plus célèbre des chanteurs Rasta « Bob Marley », le naturel revient au galop. Manga St-Hilare, fidèle acolyte au sein du crew Roll Deep, déchire un beat massif avec son flow halluciné, sous hélium, (qui mettrait facilement à terre, l’ancien maître Dizzee Rascal). Le décor est planté pour ce « dons&divas » qui donne envie de headbanger sauvagement bercé par des coups de boutoir basses fréquences, rémanents et minimaux. Le contraste avec la voix grave de Flowdan illumine ce morceau aux relents apocalyptiques. Lorsque l’humeur se fait agressive, le collectif se transforme en une véritable horde de messagers du chaos.
Quand des instrus sont aussi excessivement grandiloquents et symphoniques que celui de « Dons & Divas » le lyrisme déploie son pouvoir évocateur. Pour peu, notre redoutable bande de MC’s tâterait de la hallebarde dans une scène de combat de Games Of Thrones et achèverait les marcheurs blancs à grand renfort de rimes débitées façon mitraillette.
Histoire d’enfoncer le clou en beauté, Flowdan enchaîne avec « Gunfingers », sombre et hystérique, marqué par un sample oppressant et une battle de flow, équivalente à une rencontre entre le Wu-Tang de 36 Chambers et le Run DMC de Raising Hell.

Sans surprise, Flowdan déclare même son amour et son attachement viscéral à la Grime Music, voire une affirmation d’acte de propriété artistique, dans un morceau justement nommé « Grime ». Chez notre emcee, il est des détours parfaitement inutiles lorsqu’il s’agit d’être explicite. C’est certainement la raison pour laquelle ce Lp nous touche aussi frontalement. Étrangement, malgré sa force intrinsèque, le single « Horror Show Style » est presque le morceau le plus lisse de cet effort studio. Heureusement, comme dans les meilleures mixtapes du genre, la conclusion se matérialise dans un « Testin » presque animal, galvanisé à la testostérone et aux patterns de boîtes à rythmes cheap. La messe est dite, reste plus qu’à contempler l’ampleur des dégâts et à écouter le silence pour reprendre ses esprits.

Flowdan Disaster Piece Tru Thoughts
Site web de Tru Thoughts et page Bandcamp de Flowdan.

TRACKLIST:

Chosen
Judgement
Curtain Call
Groundhog
No Way Out
Flatline
Bob Marley
Dons and Divas
Gunfingers
Grime
Horror Show Style
Testin’



Également dispo’ en streaming sur Bandcamp et Spotify.


 

Laurent Thore

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