The National « First Two Pages of Frankenstein »

Quatre ans après la sortie d’un album concept coproduit par le réalisateur/scénariste Mike Mills (I Am Easy To Find) et une crise qui a faillit sonner la fin du quintet, The National revient à l’essentiel avec un neuvième LP enregistré, comme ses prédécesseurs, à la maison, dans son studio de Long Pond.

Ce nouveau disque, qui, hormis les multiples projets de ses membres, fait notamment suite à une échappée solo de son chanteur Matt Berninger (Serpentine Prison paru en 2020) suivi d’un bon coup d’blues (merci la Covid, le confinement, le syndrome de la page blanche, toussa toussa…NDLR) qui a pris fin lorsque le groupe est reparti en tournée au printemps dernier. On avait d’ailleurs noté à l’époque (lors du passage du groupe à Paris, Salle Pleyel) que Berninger semblait absent.
Plus spontané que son prédécesseur, ce neuvième effort ne sera pas déroutant pour les amateurs du groupe de l’Ohio tant on y retrouve tous les chemins précédemment empruntés. Une importante part de l’identité de The National réside dans sa capacité à composer de belles ballades mélancoliques, un exercice certes facile pour le quintet qui maîtrise néanmoins sa recette à la perfection, quitte à, une fois de plus, faire chier ses détracteurs. « Once Upon A Poolside », qui ouvre le disque, en est la preuve parfaite.

Les notes de piano, délicatement posées, semblent toutes savamment choisies, tandis que les chœurs angéliques de Sufjan Stevens offre une aura quasi biblique à la chanson (prière aux quatre du fond qui n’en peuvent déjà plus de bailler de quitter la salle !), sublime. Il y a quatre ans, The National avait invité de nombreuses voix féminines sur son disque (I Am Easy To Find). Un choix qui, en plus d’apporter une couleur différente à ses chansons, avait permis d’appuyer et d’embellir la voix de baryton de son chanteur. Le constat est le même sur cet album et le groupe semble l’avoir bien compris. En témoigne « This Isn’t Helping » ou le très beau « Your Mind Is Not Your Friend », deux chansons sur lesquelles Phoebe Bridgers assure à merveille le rôle de choriste ; « New Order T-shirt », magnifié par l’ombre discrète et classieuse de Mina Tindle ou encore le single (« catchy », diront certains) « Weird Goodbyes » avec Bon Iver (présent uniquement sur l’édition limitée de l’album, NDLR) ; mais, plus tard, la formule atteint cependant ses limites, précisément sur « The Alcott », sur lequel s’invite Taylor Swift.

The National, dans son home studio de Long Pond dans l’Hudson Valley, NY (Josh Goleman ©)

Il y a quelques années, l’idée de retrouver une pop star de l’envergure de Swift sur un disque des National aurait semblé improbable, mais depuis la collaboration de la chanteuse avec Aaron Dessner -producteur de deux albums (Folklore et Evermore) au succès critique et public indiscutable- l’invitation n’est plus vraiment une surprise. On notera d’ailleurs que les Américains, aussi indé’ soient-ils, n’hésitent pas une seconde à se rapprocher d’artistes plus populaires. Alors qu’en France, on aurait dû mal à envisager une collab’ entre Frustration et Louane par exemple. On se marre rien que d’y penser. Bref, le titre, loin d’être mauvais, semble être tiré du répertoire de la chanteuse et n’a pas grand intérêt, si ce n’est de faire grossir la popularité du groupe auprès d’un public pas forcément adepte de musique indé’ (et hop ! Par ici l’Grammy!).
Mais là où le groupe américain nous touche réellement, c’est lorsqu’il fait monter la tension en se montrant plus fragile sur des titres plus écorchés. « Eucalyptus », chanson finalisée en pleine tournée, avec son envolée électrique et ses guitares en avant, ramène aux grandes heures de High Violet. Berninger y évoque le partage des biens lors de la séparation d’un couple (un thème récurrent sur le disque, NDLR). Son style d’écriture, qui tenait auparavant plus de la poésie -on y trouvait bon nombre de métaphores ou d’images- est désormais plus personnel, se rapprochant de celle d’un romancier. On retrouve également l’électricité ainsi qu’un charme similaire sur l’efficace « Tropic Morning News » (qui trouve tout son intérêt en live) ou la seconde partie de « Alien » et de « Grease In Your Hair », deux titres sur lesquels les frères Dessner n’hésitent pas à superposer d’épaisses couches de guitares. Depuis Sleep Well Beast, les frangins semblent d’ailleurs incapables de ne pas claquer de grands solos dès qu’ils en ont l’occasion. L’autre fratrie du groupe, les Devendorf, n’est pas en reste et se montre toujours plus inventive sur les sections rythmiques des compositions plus nerveuses. Moins expérimental que Sleep Well Beast, sur lequel Berninger & Co. se laissaient aller à quelques improvisations, ils ont désormais parfaitement intégré à leur compositions (déjà riches en arrangements) la présence quasi systématique de boucles et percussions électroniques.

Si pour ses fans, First Two Pages of Frankenstein n’est que le dernier album d’une discographie sans aucune faute de goût, pour The National, qui n’a jamais était aussi proche de se séparer, le disque représente la lumière au bout du tunnel voire même,  celui de la renaissance pour Matt Berninger. Malgré leur différences -pendant que l’un produit Taylor Swift ou Ed Sheeran, l’autre compose pour Alejandro González Iñárritu– les Sad Dads de The National sont désormais plus soudés que jamais et en parfaite alchimie. Ils offrent sur ce neuvième LP ce qu’ils savent faire de mieux, un disque sans réelle surprise mais néanmoins franchement réussi.

The National First Two Pages of Frankenstein 4AD/Beggars

Face A

Once Upon A Poolside (feat. Sufjan Stevens)
Eucalyptus
New Order T-Shirt
This Isn’t Helping (feat. Phoebe Bridgers)
Tropic Morning News
Alien

Face B

The Alcott (With Taylor Swift)
Grease In Your Hair
Ice Machines
Your Mind Is Not Your Friend (feat. Phoebe Bridgers)
Send For Me

Face C (Cherry Tree Bonus 7″ Flexi Disc)

Weird Goodbyes (feat. Bon Iver)


Album disponible sur Apple Music, Bandcamp, Deezer, Spotify & Tidal,
mais aussi et surtout, chez tous les bons disquaires indé’ !




Critique et écoute des albums
Trouble Will Find Me, Sleep Well Beast & I Am Easy to Find
(2013, 2017, 2019, 4AD)

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Compte rendu du concert de The National à Paris, Salle Pleyel en 2022 (Olympia Production)

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Stéphane Pinguet

Disquaire indépendant aigri mais passionné, amateur de musique, cinéma, littérature et bandes dessinées en tous genres.

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